Le journal américain Annals of Emergency Medicine vient de publier un guide de pratique pour les enfants de 2 mois à 2 ans souffrant d’hyperthermie. Provenant du American College of Emergency Physicians, cette revue de la littérature tente de répondre à 4 questions cliniques précises. La fièvre est la raison la plus commune de visites à l’urgence pour les enfants. Comme la prise en charge de l’enfant qui paraît toxique ou très malade est moins controversée, le guide a voulu s’attarder aux enfants en bon état général, où le dilemme clinique est plus important. En effet, un bon état général n’exclut pas une bactériémie ou une méningite. Comme cité dans l’article, dans une étude de 3000 patients fébriles, « seulement 58% des enfants avec bactériémie ou méningite semblaient toxiques ». Évidemment, le nombre d’enfants fébriles avec bactériémie a considérablement changé depuis l’ère des vaccins contre le pneumocoque, diminuant de 80%. La prévalence de bactériémie occulte est inférieure à 1-2% des enfants qui présentent avec de la fièvre. Ainsi, la vaste majorité des enfants vaccinés auront une fièvre d’origine virale. Les pathogènes principaux ont aussi changé, la bactérie E. coli prenant la pole, responsable de 60% des cas de bactériémie au Kaiser Permanente, un centre hospitalier californien. Ce guide de pratique visait donc à répondre à 4 questions cliniques communes dans la pratique. Vous trouverez ici-bas les 4 questions et les énoncés respectifs, basés sur les données probantes. Je vous réfère au texte en référence pour en explorer les détails.
1) Pour les jeunes patients immunocompétents, âgés entre 2 mois et 2 ans, qui présentent avec de la fièvre, y a-t-il des indicateurs cliniques pour mieux identifier les patients à risque d’infection urinaire ?
À mon avis, il n’y avait rien de très nouveau sur le sujet, avec un niveau de preuves venant de consensus d’experts. Les facteurs de risque d’infection urinaire identifiés sont similaires à ceux de l’Association Américaine de Pédiatrie : sexe féminin < 12 mois, sexe masculin non-circoncis, race non-noire, durée de la fièvre > 24 heures, fièvre > 39 degrés, tests négatifs pour pathogènes respiratoires et pas de foyer clair infectieux.
Même si un « foyer viral clair » diminue le risque d’infection urinaire, les auteurs spécifient qu’aucun indicateur clinique ne permet de l’exclure avec certitude. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais des jeunes garçons non-circoncis ou des filles de moins de 12 mois qui font de la fièvre en haut de 39 degrés depuis plus de 24 heures, c’est quasiment la norme dans mon urgence ! Ce qui nous amène à la question suivante…
2) Pour les jeunes enfants fébriles en bon état général, entre 2 mois et 2 ans, qui subissent un test d’urine, quel test de laboratoire devrait être utilisé pour diagnostiquer une infection urinaire ?
– Preuve de niveau B (données de qualité modérée) – le diagnostic préliminaire peut être posé avec les nitrites, l’estérase leucocytaire, le décompte des globules blancs urinaires ou une coloration Gram.
– Preuve de niveau C (consensus d’experts) – le médecin qui débute un traitement pour une infection urinaire présumée devrait obtenir au préalable une culture urinaire ; une analyse d’urine négative provenant d’un enfant avec suspicion d’infection urinaire devrait tout de même conduire à une culture.
Encore une fois, cet énoncé ne semble pas changer la pratique actuelle. Les auteurs ajoutent dans les explications que bien que les nitrites soient très spécifiques, elles sont moins sensibles que les estérases leucocytaires. Le nombre de globules blancs par champs présente un rapport de vraisemblance positif élevé (+LR=19 si >20 GB/champs, +LR=18.2 si 11-20 et LR+= 2.8 pour 6-10… avec un LR- = 0.3 si 0-2 GB/champs). Ils rappellent aussi que la spécificité de la culture sur un u-bag est pauvre, soit de 70%… Ainsi, une culture « négative » faite via un u-bag est rassurante pour le clinicien, mais lorsque « positive », une confirmation par cathétérisme doit être effectuée, car la majorité des cultures sur u-bag sera en réalité des « faux positifs », dans une population de jeunes enfants fébriles. Ils rappellent aussi que la combinaison de tous les tests rapides (nitrites, leuco estérase, GB/champs et gram) seront normaux dans 10-13% des cas, et que ces tests ne peuvent donc pas remplacer la culture urinaire. La position énoncée correspond aux guides de pratique antérieurs, surtout que les auteurs n’ont pas évalué les différentes méthodes possibles (KT, u-bag ou aspiration sus-pubienne) pour obtenir l’analyse d’urine.
3) Pour les enfants immunocompétents et fébriles, âgés de 2 mois à 2 ans, y a-t-il des indicateurs cliniques pour identifier les enfants à risque de pneumonie chez qui un rayon-x du poumon devrait être obtenu ?
– Niveau de preuve B (données de qualité modérée) – si aucun foyer d’infection identifié, le groupe recommande aux médecins de considérer un rayon-x des poumons pour les patients avec toux, hypoxie, râles, fièvre élevée > 39, fièvre d’une durée de plus de 48 heures ou chez patients avec tachycardie/tachypnée hors de proportion avec la température.
– Niveau de preuve C (consensus d’experts) – le groupe déconseille le rayon-x chez le jeune patient avec sibilances ou une haute probabilité de bronchiolite.
Là encore, il m’apparaît que ces critères sont peu discriminants : un enfant en bon état général avec température de plus de 39 degrés depuis 2 jours, avec toux – même si auscultation normale – se mériterait un rayon-x, même si la vaste majorité de ces cas auront finalement une infection virale des voies respiratoires supérieures. Les auteurs mentionnent l’effet potentiellement délétère de l’augmentation des rayons-x, des radiations, voire du sur-diagnostic, mais ils le contrastent avec le bénéfice d’un traitement plus précoce afin de prévenir d’éventuelles complications, chez ceux qui souffriraient d’une pneumonie. Dans la pratique usuelle, on se fie souvent à la saturation « normale » comme d’un facteur de rassurance. Cependant, l’hypoxie seule n’est pas assez sensible pour exclure une pneumonie : une pneumonie sur 2 se présentera avec une saturation plus grande ou égale à 96%. Bien que non-existant pour le moment, les experts suggèrent de développer éventuellement un aide de décision clinique sur le sujet.
4) Pour les enfants immunocompétents, nés à terme, âgés entre 1 et 3 mois, avec hyperthermie, y a-t-il des facteurs cliniques qui permettent d’identifier les patients à risque de méningite, chez qui une PL devrait être effectuée ?
– Niveau de preuve C (consensus d’experts) – il n’y a malheureusement pas de facteurs prédictifs clairs pour identifier les enfants de 1-3 mois chez qui une PL devrait être faite… il s’agit d’une controverse qui demeure. Les auteurs mentionnent dans une deuxième recommandation que la ponction lombaire pourrait être « reportée » chez un enfant à terme entre 1 à 3 mois, s’il est diagnostiqué avec une infection virale, et qu’il est évidemment en bon état général. Si la PL est « reportée », on suggère d’éviter les antibiotiques et de plutôt considérer une admission ou un suivi serré en externe. Les auteurs mentionnent comme foyer d’infection viral une influenza, un RSV, une bronchiolite clinique ou un test positif à un des ces virus.
Bref, j’avais beaucoup d’attentes et de fébrilité en lisant les questions cliniques, mais j’ai été un peu déçu en parcourant les recommandations. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un guide américain, probablement plus « défensif » d’un point de vue médico-légal. J’en retiens que notre pratique actuelle correspond déjà en grande partie aux standards américains proposés. Et qu’en l’absence de bons critères cliniques permettant d’identifier avec certitudes les infections urinaires, les pneumonies et les nourrissons de 1-3 mois en bon état général qui demandent une PL, le jugement clinique prévaut ! Dans le doute, il faudra continuer à rechercher les infections urinaires, de plus en plus responsables des bactériémies et à prescrire des rayons-x du poumon, selon les facteurs de risque, même si la saturation est normale… Les données probantes finissent là où l’Art de la médecine commence. Et pour le bien du patient, l’un ne devrait pas aller sans l’autre.
Frédéric Picotte, MD
Mace, Sharon E. et al. Clinical Policy for Well-Appearing Infants and Children Younger Than 2 Years of Age Presenting to the Emergency Department With Fever.
Annals of Emergency Medicine , Volume 67 , Issue 5 , 625 – 639.e13
By the American College of Emergency Physicians
http://www.annemergmed.com/article/S0196-0644(16)00093-7/abstract
(Je tiens à spécifier que le résumé ci-haut est une traduction libre de ma part, et elle ne remplace en aucun cas les énoncés originaux de l’article, auxquels je vous réfère.)