ATCD Db2, HTA, DLPD. Tachycardie sinusale initiale à l’arrivée à 140. TA normale. Le patient aurait reçu coups à la tête et au thorax, perte de conscience secondaire. Examen initial : examen neuro et Glasgow normal. Douleur mâchoire inférieure et thorax. Diagnostic probable TCC et fx costale D. Patient commence à vomir à la SU de manière répétée : scan cérébral normal. Labos incluant bilan abdo et rénal normal. Pas de PTX ou pneumonie au RX PMS. ECG normal. Mis à part une fracture costale, pas d’autres conséquences de l’agression identifiées. Scan abdo-pelvien fait vu vomissements et irradiation de la douleur à l’HCD D. Scan abdopelvien normal, pas évidence d’atteinte hépatique, ou de saignement intra-abdo. Mis à part la tachycardie sinusale autour de 140 qui persiste malgré hydratation et le RR 28, TA normale… gluco à 10.4. Pas de température rectale. Glasgow normal. Patient paraît néanmoins « malade »…
Je réévalue le patient après le scan abdo-pelvien, à la recherche d’une cause pouvant expliquer les vomissements et la tachycardie. L’examen neuro complet était tout à fait normal. J’ai vérifié la consommation d’alcool et de drogues du patient, pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une intox ou d’un sevrage – négatif. Pas non plus d’intox, de lave-glace, d’aspirine, selon le patient…
En l’absence de température, le sepsis demeurait moins probable, le patient n’étant pas immunosupprimé. Le patient ne présentait pas de DRS, rendant un SCA moins probable, surtout que l’ECG était normal. Je trouvais bizarre que le TCC seul cause une tachycardie sinusale aussi élevée. Le patient n’avait pas de facteur de risque thrombo-embolique. Devant l’apparence « malade » du patient et la tachycardie, j’ai refait un EDU – négatif… j’ai aussi dosé la TSH, refait une FSC, un gaz veineux et le lactate. La TSH et l’hémoglobine étaient normales. Pas de saignement présumé donc. Voir le rapport du gaz veineux et du lactate perturbés, en annexe.
Diagnostic ? Autres infos nécessaires ?
Effectivement, le diagnostic posé : acidocétose à gluco normal, précipité ici par l’Invokana, un SGLT2 !
Il s’agit d’un cas avec une présentation plutôt atypique. Le TCC ici était visiblement un facteur confondant. Le temps d’observation à l’urgence avec le jeûne associé, avec une déshydration légère ont probablement précipité l’événement. Après avoir requestionné le patient, ce dernier nous a avoué qu’il avait cessé son insuline depuis plusieurs mois, et qu’il ne prenait donc que son canaglifozin (Invokana) pour son diabète. Bref, le patient ayant cessé son insuline, le TCC, les vomissements subséquents et le jeûne qui s’en est suivi ont probablement entraîné l’acidocétose à gluco normal.
Il s’agit d’une complication rare, < 0.7% des patients avec diabète de type II sous canaglifozin (cf références ci-bas). Avec un gluco moyen de 14.7 +/- 7.8 mmol/L, les symptômes les plus communs incluent la nausée, les vomissements et la douleur abdominale. Dans la plupart des cas, un facteur précipitant a été identifié : chirurgie récente majeure, pathologie médicale concomitante (ex : GE, infarctus), insuline cessée ou diminuée, ainsi que découverte subséquente d’un LADA (diabète auto-immun de l’adulte). Pour nous, médecins et personnel de l’urgence, je retiens qu’il faut considérer prélever un gaz veineux chez les patients sous SGLT2 avec gastro-entérite, nausée, vomissements, douleur abdominale, DEG. La reprise de l’insuline et un traitement de support devrait alors corriger la condition.
Je ne voudrais surtout pas vous laisser l’impression que le traitement part SGLT2 est à redouter, bien au contraire. Je vous rappelle un écrit que j’ai publié en avril dernier, portant sur l’étude randomisée-contrôlée EMPA-reg OUTCOME. Cette étude a démontré une diminution significative de la mortalité toutes causes confondues de 32 % sur une période médiane de 3 ans, chez une population de patients MCAS avec diabète de type II (5.7% versus 8.3%, soit NNT 38 pour prévenir un décès). Cette molécule prévient donc des décès, des cercueils, chez les diabétiques avec ATCD cardiaque. Que demander de mieux ! Enfin une molécule avec des « hard outcomes ». Par ailleurs, on sait que les SGLT2 en général sont favorables pour une perte de poids, favorisent une tension artérielle à la baisse et sont à faible risque d’hypoglycémie. Pas étonnant que la mise à jour 2016 du guide de pratique de l’Association Canadienne du Diabète suggère le Jardiance tout de suite après la metformine chez les patients cardiaques, lorsque la cible glycémique n’est pas atteinte.
Des pistes de solution ? Pour les patients ou les professionnels de la santé inquiets du rarissime risque d’acidose avec un gluco normal, le glucomètre Precision Neo d’Abbott offre la possibilité de détecter rapidement les cétones, avec un prélèvement digital, à l’aide d’une bandelette spéciale. Cet instrument pourrait être un bon moyen de dépistage pour nos patients avec gastro-entérite sous SGLT2, particulièrement au triage. Il faut aussi se rappeler d’arrêter le SGLT2 lors des épisodes aigus dans nos urgences et lors du jeûne, comme on le fait souvent avec les autres médicaments oraux pour traiter le diabète.
Bon temps de la gastro-entérite !
Frédéric Picotte, MD
Références :
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27931088
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26203064
Étude EMPA-reg :http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1504720#t=article