Vous êtes à l’urgence de soir. On vous amène par ambulance une dame de 50 ans avec une douleur aiguë au genou droit après avoir manqué une marche dans les escaliers. Elle a senti son genou « plier vers l’arrière » et n’est plus capable de mise en charge depuis. La patiente a une anatomie de surface difficile vu son IMC à 42 ; mais on note un œdème évident. L’examen est limité par la douleur, mais plusieurs ligaments semblent atteints. Vous allez diagnostiquer une entorse sévère du genou, prescrire une attelle de repos « Zimmer » pour 10-14 jours « le temps que le genou désenfle » et un suivi avec le médecin de famille en externe, lorsqu’un doute vous assiège… y a-t-il quelque chose d’urgent qui vous échappe ?
La douleur au genou est une présentation fréquente dans nos salles d’urgence. Comme la DRS ou la douleur abdominale, elle peut parfois représenter une urgence médicale ou chirurgicale. Quelles sont les urgences qu’il faut éliminer chez les patients qui présentent avec une gonalgie aiguë ?
J’aimerais vous référer à un excellent podcast provenant du site Emergency Medicine Cases qui résume bien les urgences liées au genou (voir référence en bas du texte). Comme cette capsule est en anglais, je me suis permis de vous résumer en traduction libre les perles sur le sujet.
Les diagnostics urgents d’une gonalgie subite :
- Luxation genou réduite spontanément
- Fracture plateau tibial externe
- Rupture du système extenseur – tendon patellaire ou quadriceps
- « genou bloqué » (locked knee)
- Douleur référée de la hanche
- Arthrite septique
- Syndrome du compartiment
- Compromis neuro-vasculaire (vrai pour toute douleur d’une extrémité)
- Fracture ouverte « subtile »
Est-ce que notre patiente de 50 ans pourrait présenter l’une de ces urgences ?
Luxation du genou
La luxation du genou auto-résolue est une « vraie » urgence, parce qu’elle est souvent associée à une atteinte des structures neuro-vasculaires du creux poplité. Si elle n’est pas rapidement reconnue, elle peut mener à une ischémie aigüe du membre inférieur, voire à une amputation.
20-50 % des luxations du genou se résolvent spontanément avant l’arrivée à l’urgence. Le clinicien doit donc rester vigilant pour ne pas manquer cette urgence.
Drapeaux rouges pour une luxation résolue du genou :
- Un genou avec laxité de plusieurs ligaments – un genou « instable »
- Trauma haute vélocité ou de basse vélocité chez patient avec obésité marquée
- Une hyperextension a/n du genou lorsqu’on élève le MI du patient en le supportant par le talon
- Une atteinte nouvelle du nerf péroné avec pied tombant
En cas de doute, il est impératif d’aviser immédiatement l’orthopédiste, tout en suivant de manière sériée les pouls distaux ou l’index tibio-brachial (normal en haut de 0.9). En cas de doute, un angioscan urgent est requis. Le patient sans anomalie vasculaire évidente peut être anticoagulé avec de l’héparine et observé avec examens sériés.
Ainsi, la patiente ci-haut décrite présente plusieurs drapeaux rouges dont l’obésité, l’histoire de genou qui a « plié vers l’arrière », un œdème important avec laxité des ligaments multiples. Il est donc impératif d’immobiliser le genou, sans MEC, mais de porter une attention immédiate au statu neuro-vasculaire. En cas de doute, un appel urgent à l’orthopédiste ou un angioscan est requis.
Fracture plateau tibial externe
L’histoire classique de cette urgence révèle souvent un mécanisme avec force a/n du genou latéral causant un stress en valgus. Le mécanisme cause habituellement une atteinte du collatéral interne, une entorse commune, mais le drapeau rouge ici est la présence concomitante d’une douleur de l’interligne externe du genou. De plus, cette fracture est commune chez la personne âgée ostéoporotique avec un trauma en valgus de faible vélocité.
Un patient avec douleur à l’interligne latéral lorsque l’on met sous tension le collatéral interne (test du genou en valgus) est suspect d’une fracture du plateau tibial externe. Un rayon-x est nécessaire… on verra parfois une ligne articulaire externe abaissée par rapport au côté médial. Une dépression de plus de 2 mm ou une fracture déplacée nécessitent une chirurgie orthopédique urgente. En cas de doute, prévenir la mise en charge avec des béquilles ou avec une marchette et protocole « toe touch » seulement. Le scan peut aussi éliminer le diagnostic si suspicion importante. Bref, ne jamais négliger la palpation de l’interligne latéral du genou lors de l’examen physique.
Rupture du système extenseur du genou
Ce diagnostic est manqué chez plus de 50 % des patients. Pourtant, le diagnostic précoce est essentiel, car une chirurgie dans les deux semaines est requise afin d’éviter une rétraction musculaire. La triade classique :
- MEC difficile
- Extension du genou active impossible (faire le test lorsque le patient est assis sur la table d’examen, le genou en flexion à 90 degrés, pour améliorer la sensibilité)
- Une rotule trop haute ou trop basse ( rupture tendon patellaire versus des quadriceps)… une rotule normalement positionnée est située un doigt en haut de la ligne articulaire.
À noter que le rayon-x du genou sera la plupart du temps normal. L’examen de choix est alors l’échographie qui permet d’assurer l’intégrité du système extenseur. En cas de doute, il faut immobiliser le genou avec une attelle de type Zimmer, et suivi orthopédique dans la semaine pour une réparation chirurgicale rapprochée PRN.
Genou « bloqué »
Genou avec extension complète impossible, comparativement au genou opposé. Souvent causé par une déchirure complexe du ménisque ou atteinte du croisé. Il est important de diagnostiquer ces patients rapidement et de débuter rapidement de la physio avec un suivi semi-urgent avec l’orthopédiste en externe, afin de prévenir une restriction de l’amplitude articulaire chronique.
Un mot sur le « Zimmer »
Les indications pour immobiliser le genou avec un « Zimmer » sont :
- Luxation de la rotule
- Rupture du système extenseur (tendon rotulien ou quads)
À noter que les auteurs de Emergency Medicine Cases (dont le Dr Arun Sayal de la formation CASTED) déconseillent le Zimmer chez les patients avec entorse du genou, atteinte du ligament croisé antérieur et atteinte méniscale. L’immobilisation dans ces conditions n’améliorerait pas le pronostic, en plus d’augmenter le risque de chute et d’augmenter la rigidité articulaire.
« L’attelle du genou à l’urgence est l’amoxicilline des cliniques sans rendez-vous. »
Traduction libre de Dr Arun Sayal.
Ainsi, les auteurs suggèrent de bien connaître les indications formelles d’immobilisation. Le « R » de l’acronyme « R.I.C.E. » devrait être perçu comme « Réduction des activités » plutôt que « repos » pour les entorses du genou / lésions méniscales / rupture du croisé antérieur, puisqu’une mise en charge selon tolérance favorisera un retour plus rapide aux activités normales.
Tout comme nos patients avec DRS, lombalgie ou céphalée, j’espère que cette traduction libre du site Emergency Medicine Cases vous aidera à éliminer rapidement ces urgences chirurgicales. Je vous réfère d’ailleurs directement au site pour un vidéo démontrant une réduction d’une luxation postérieure du genou ainsi que des images qui vont mieux illustrer les concepts présentés.
Frédéric Picote, MD
Urgence de Shawinigan