Empagliflozin (Jardiance) – nouvelle classe en diabète, sauve des vies chez les patients à risque cardiaque. Implications pour l’urgence ?
Vous verrez de plus en plus ce médicament sur le profil de vos patients diabétiques de type II. La raison est fort simple : l’étude randomisée-contrôlée EMPA-reg OUTCOME a démontré une diminution significative de la mortalité sur une période médiane de 3 ans, chez une population de 7000 patients MCAS avec diabète de type II:
– Risque plus faible de mortalité toutes causes confondues (5.7% versus 8.3%, soit baisse de 32 % relatif, NNT 38 pour un décès)
Notons aussi :
– Risque plus faible de mortalité cardiovasculaire (3.7 % versus 5.9%, soit baisse de 38% relatif ou NNT 45)
– Risque plus faible d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (2.7% versus 4.1%, soit baisse de 35 % relatif ou NNT de 71)
Bref, ce médicament est non seulement sécuritaire d’un point de vue cardiaque, il diminue la mortalité toutes causes confondues! Curieusement, cet effet protecteur ne semble pas lié à la baisse du glucose sanguin, la différence entre les HbA1c des deux groupes n’étant que de 0.4% dans l’étude. De plus, l’effet se faisait ressentir très vite, ce qui suggère un effet protecteur autre que la baisse glycémique. Ce médicament, de la classe des inhibiteurs de la SGLT2 (sodium-glucose cotransporter-2), permet de favoriser l’excrétion de glucose dans les urines, en prévenant la réabsorption au niveau du rein.
Le profil d’événements indésirables dans l’étude EMPA-reg était très intéressant : il n’y avait pas de différence significative dans le taux global d’effets secondaires entre le Jardiance et le placebo, ni dans les effets indésirables sérieux, ou dans le taux d’abandon prématuré du médicament. Seule l’infection à candida génitale était plus élevée dans le groupe sous Jardiance (6.4% versus 1.8%, NNH 22). Dans les autres effets rapportés, je souligne une légère baisse de la tension artérielle (4/2 mm Hg), une légère perte pondérable (environ 2 kg / 4.4 lbs). Vous comprenez pourquoi je pense que ce médicament qui favorise l’excrétion de glucose dans les urines gagnera en popularité dans les prochaines années.
Si on regarde les données pour la nouvelle classe des inhibiteurs du SGLT2 en général (en incluant le canagliflozin (Invokana) et le dapagliflozin (Forxiga)), on dénote en effet un risque plus élevé de vaginite ou de balanite à candida. On parle aussi d’un taux d’infections urinaires plus élevé, particulièrement chez la femme. Si on considère tous les symptômes urogénitaux (augmentation fréquence urinaire, dysurie, vaginite ou balanite), on parle d’une prévalence totale autour de 20% pour la femme, et moindre pour l’homme. Cette classe de médicaments semble sécuritaire pour l’hypoglycémie, avec seulement un risque augmenté en combinaison avec l’insuline ou les sécrétagogues. On souligne dans quelques études un risque d’hypotension orthostatique et de déplétion du volume sanguin, en particulier si patient âgé ou avec un diurétique.
Ces médicaments sont déconseillés chez les patients qui présentent une fonction rénale abaissée ( CrCl < 45-60 selon les doses et les molécules… dans l’étude EMPA-reg, on était plus libéral, excluant seulement les patient avec CrCl < 30). Il semblerait donc que le patient « idéal » pour cette molécule ne soit pas la personne âgée, vu la fonction rénale et le possible risque d’hypovolémie avec la glycosurie. Le patient cible serait plutôt d’âge moyen, hypertendu, obèse et à risque cardiovasculaire élevé.
Mis à part les infections à levure et l’effet diurétique à envisager, en quoi cette classe de médicament peut affecter notre rôle à l’urgence ?
L’intérêt de discuter du Jardiance et des inhibiteurs du SGLT2 tient justement d’un effet indésirable très rare, mais qu’on doit identifier à l’urgence. La FDA a émis un avis de surveillance l’an dernier où l’on rapportait des cas d’acidocétose diabétique avec un glucose modérément élevé (aussi bas que 11 mmol/L) chez les patients traités avec un inhibiteur du SGLT2. Ces niveaux de glucose « typiquement trop bas » pour une acidocétose peut donc entraîner un retard dans le diagnostic. Bien que cet événement indésirable soit très rare (prévalence en bas de 0.1%), il faudra le considérer chez le patient diabétique sous inhibiteur du SGLT2 qui présente nausée /vomissements, fatigue, diminution de l’état général, confusion, douleur abdominale ou hyperventilation (respiration de Kussmaul), même si le glucose est peu impressionnant (10-20 mmol/L). Dans le doute, un gaz veineux ou une recherche de cétone pourront aider à poser le diagnostique, en confirmant l’acidose métabolique.
Le diabète est une maladie complexe et commune. Une molécule favorable sur le poids, à faible risque d’hypoglycémie et avec des données qui prouvent une diminution de la mortalité globale chez des patients à haut risque cardiovasculaire, voilà des arguments qui risquent de mousser sa popularité. Cela ne changera rien dans le traitement usuel de la cystite ou de la vaginite… Cependant, de reconnaître rapidement une acidocétose diabétique « atypique » avec un gluco près de la normale mérite d’écrire sur le sujet.
À tous les diabétiques qui se sont privés malgré le temps des sucres et Pâques,
Frédéric Picotte,
MD de famille
Référence s :
Bernard Zinman, et al. for the EMPA-REG OUTCOME Investigators. N Engl J Med 2015; 373:2117-2128, November 26, 2015DOI: 10.1056/NEJMoa1504720
http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1504720
Tableau résumé des effets indésirables dans l’étude EMPA-REG :
http://www.ndei.org/dsl/searchslide.aspx…
William T. Cefalu et Matthew C. Riddle. SGLT2 Inhibitors: The Latest “New Kids on the Block”! Diabetes Care March 2015 vol. 38 no. 3 352-354.http://care.diabetesjournals.org/content/38/3/352.full