Vous trouverez sur le site Free Emergency Medicine Talks une quantité impressionnante de conférences audio en anglais, portant sur une multitude de sujets pertinents pour l’urgence. Cette semaine, j’aimerais revenir sur le concept de l’hypertension asymptomatique, tel que présenté par Dr Phil Levy. La tension artérielle élevée est une cause fréquente de consultation à l’urgence. Tous les patients avec tension artérielle non-contrôlée sont à risque de complications cardio-vasculaires… éventuellement. Comme clinicien, il est facile d’identifier les patients en urgence hypertensive, avec atteinte des organes cibles, chez qui un traitement urgent est requis : surcharge, angine active, encéphalopathie, dissection aortique, éclampsie, AVC… La controverse se trouve chez les patients avec hypertension sévère, > 180/110, qui sont asymptomatiques ou avec symptômes non-significatifs comme céphalée, épistaxis, anxiété. En général, plus la tension artérielle monte, plus la panique du patient et du personnel est grande… On s’imagine le pire : un AVC imminent ! Et on ressent l’urgence d’agir immédiatement, pour le prévenir. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce que ces patients sont vraiment à risque d’une complication à court terme? Le docteur Levy nous donne son opinion sur le sujet en 20 minutes.
La tension artérielle varie. Des données ont montré que de mettre le patient dans un endroit calme pour se reposer abaissera la TA > 10-20 mm Hg, chez plus de 30 % des patients. « Oui, votre tension artérielle ce jour est élevée, mais qu’en sera-t-il dans 3 heures ou demain ? » Combien de ces patients ont une TA élevée dans nos salles d’urgence, dû au stress ou à la douleur ? Selon la présentation de Dr Levy, pas tant que cela… des études semblent indiquer qu’il n’y a pas de corrélation entre les échelles de douleur ou de stress et l’élévation de la tension artérielle. D’ailleurs, une tension élevée mesurée à l’urgence serait environ 80% fiable pour prédire un diagnostic d’hypertension en externe… peu importe le moment de la prise de la tension. Donc, une pression artérielle élevée à l’urgence demande un suivi en externe à ce sujet, car la probabilité est forte que le patient souffre en effet d’hypertension… mais les données manquent pour justifier l’urgence de la démarche et les délais. Selon le Dr Levy, les guides de pratique suggèrent soit un traitement antihypertenseur immédiat ou un suivi dans la semaine en externe pour une TA de grade 3, ie >180/110. Il faut aussi tenter de voir la cause de l’élévation, comme la non-observance, un sevrage, les causes médicamenteuses (AINS, cocaïne, psychostimulants, décongestionnants), les causes métaboliques comme une tempête thyroïdienne ou réellement une HTA réfractaire…
Que dire du Catapres (clonidine) dans ce contexte ? Comme j’avais déjà commenté sur le sujet en juillet 2016, les conséquences de l’hypertension sévère à court terme semblent très rares. Une étude du JAMA en 1967 a randomisé 143 hommes avec HTA diastolique sévère de 115-129 mmHg à traitement antihypertenseur ou placebo! Les auteurs ont reporté 21 complications dans le groupe placebo versus seulement 2 dans le groupe sous traitement. La durée moyenne avant une complication était de 11 mois, la complication la plus précoce se présentant 2 mois après la randomisation. Comme en parle le Dr Levy dans sa présentation, traitement ou non, aucune étude n’a démontré de différence significative à 3 mois, en ce qui a trait aux complications.
Le bénéfice du traitement aigu chez le patient asymptomatique est questionnable, peu importe le chiffre de la tension artérielle… ainsi, contrairement à la pensée populaire, la clonidine ne change pas le taux de complications à court terme. Par ailleurs, la clonidine n’est pas exempte d’effets secondaires : sédation (ad 50% des patients), risque d’hypotension orthostatique et d’hypertension rebond. Le Catapres fait d’ailleurs partie des médicaments potentiellement inappropriés chez les patients de plus de 65 ans, selon les critères de Beers. On se souviendra aussi que d’abaisser trop rapidement la tension artérielle chez un patient hypertendu chronique peut en soi causer un AVC : les médecins et le personnel infirmier d’expérience se souviendront de l’époque de l’Adalat sublingual, un bon exemple de traitement prouvé délétère pour le patient.
Je voudrais aussi remettre ici-bas quelques faits saignants de l’étude observationnelle ontarienne parue en juillet 2016, pour nous éclairer sur le risque de complications à court terme chez les patients hypertendus :
« Dans cette étude, on a constaté de manière rétrospective que parmi les patients qui ont consulté à l’urgence en Ontario avec un diagnostic final de « HTA », les hospitalisations sont rares et les complications à court-moyen terme aussi.
– La tension artérielle médiane au triage dans cette étude était de 181/97.
– 7.8 % des visites pour HTA se sont soldées par une hospitalisation.
– Si on regarde tous les patients et leurs complications (AVC, IRA, IM, IC, FA, dissection), on note un taux de complications de 0.35% à 7 jour, 0.73% à 1 mois, 1.4 % à 90 jours et 3.4 % à 1 an.
– La complication la plus fréquente à court terme était l’AVC, 3 fois plus commune que la complication suivante (insuffisance cardiaque)
– Selon les auteurs, environ la moitié des patients en Ontario qui ont congé pour une cause cardiovasculaire chronique a un rendez-vous dans la semaine avec leur médecin traitant, 85% durant le mois suivant. Ceci peut avoir contribué à abaisser le taux de complications des patients, via une prise en charge rapide en externe…
– Selon les auteurs et les données d’une autre étude de 7 centres à Toronto, un patient sur deux qui présentent pour HTA à l’urgence reçoit une prescription pour traiter la condition : bref, le traitement de ces patients peut avoir contribué à diminuer le taux de complications. »
Conclusion :
L’hypertension asymptomatique, peu importe l’élévation du chiffre, cause rarement des préjudices à court terme, selon les données ; cependant, les patients avec TA élevée à l’urgence vont probablement recevoir un diagnostic d’hypertension en externe, et demanderont un traitement éventuel, pour éviter une complication cardiovasculaire à long terme. Une communication avec le médecin traitant ou un rendez-vous par accès adapté pour une prise en charge en externe seraient souhaitables. Les patients avec atteinte d’organes cibles (confusion aigüe, symptômes d’AVC, angine ou dyspnée) demandent toujours une évaluation rapide à l’urgence. La haute pression « asymptomatique » demande un traitement en externe; ce n’est pas le « chiffre lui-même», mais les symptômes associés qui en font une urgence. En attendant, je vous suggère d’éviter la « tentation » de donner de la clonidine, qui traite davantage notre anxiété comme professionnel de la santé que le patient lui-même. Il vaudrait mieux dépenser nos énergies à organiser un suivi en externe, avec le médecin traitant, tout en recommandant au patient un suivi de la tension artérielle à domicile d’ici-là… si le patient présente clairement un tableau d’hypertension chronique mal contrôlée, mieux vaut carrément débuter un traitement antihypertenseur régulier (au choix un BCC, un IECA, un ARA ou un diurétique).
Bonne écoute de Free Emergency Talks… des centaines de conférences gratuites avec des sommités médicales mondiales, sans aucun frais !
Frédéric Picotte, MD
Lien vers la présentation de Dr Levy :
http://www.freeemergencytalks.net/…/phil-levy-asymptomatic-…
Étude JAMA 1967 :
Effects of Treatment on Morbidity in Hypertension:
http://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/336799
Liens vers l’étude observationelle ontarienne sur la HTA à l’urgence :
https://www.ems1.com/…/106579048-New-study-Hypertension-it…/
http://www.annemergmed.com/a…/S0196-0644(16)30165-2/fulltext