Une consultation pédiatrique sur 3 après les heures normales auprès d’un médecin de famille est liée à l’hyperthermie. 92 % de ces consultations sont gérées par les omnipraticiens, sans autre consultant au dossier, démontrant clairement le caractère bénin de la plupart de ces visites. Selon les données probantes, un enfant avec température élevée sur 3 se verra prescrire un antibiotique lorsqu’il consulte un médecin de famille, lors d’une visite en bureau le soir. Quelles sont les attentes des parents qui se présentent chez un omnipraticien lors des rendez-vous de soir avec un enfant fébrile ?
Une petite étude néerlandaise qualitative observationnelle, publiée en 2015, a tenté de répondre à la question. Basée sur 20 entrevues auprès de parents ayant consultés un médecin de famille après les heures normales pour de l’hyperthermie chez leur enfant, cette étude a permis de mettre en lumière les croyances, les peurs et les attentes de ces derniers. Les auteurs ont d’ailleurs inclus dans le texte plusieurs « citations » recueillies auprès des parents. Les résultats m’apparaissent intéressants :
– La plupart des parents voyaient la hauteur de la température comme directement liée à la gravité de la maladie, donc à une perception d’un risque plus élevé de complications.
– Certains parents ne consultaient que pour être rassurés, connaître la cause… selon eux, l’aspect le plus rassurant de la visite était d’ailleurs l’examen physique par le médecin de famille.
– Contrairement à la croyance populaire, les parents dans cette étude n’ont pas révélé avoir une attente par rapport à la prescription d’antibiotiques : ils s’en remettaient plutôt au clinicien pour déterminer ce qui était jugé requis.
– Les parents ont décrit avoir consulté des proches ou internet pour mieux se renseigner avant la consultation : malheureusement pour certains, cela a contribué à augmenter leur anxiété.
– Finalement, les parents ont révélé qu’ils auraient aimé recevoir des informations écrites sur les symptômes d’alarme et les stratégies d’auto-prise en charge pour les épisodes futurs.
Il s’agit d’une petite étude européenne, mais je pense que les résultats peuvent s’appliquer ici. La peur de la fièvre est répandue chez nous, et sa sévérité inquiète aussi les parents dans nos urgences et dans nos sans rendez-vous. Mais quels sont les signes et symptômes qui devraient inciter les parents à consulter rapidement lorsque leur enfant fait de la fièvre ?
Une étude publiée en 2010 dans le journal The Lancet s’est attardée aux « drapeaux rouges » qui augmentent le risque d’une infection invasive bactérienne chez les enfants fébriles. On note dans ces drapeaux rouges qu’il y a en effet une légère augmentation du risque de bactériémie lorsque la température est mesurée à plus de 40 degrés Celsius : le risque d’infection sérieuse passe alors de 0.8% à 5%… néanmoins, il reste que 95 % des enfants vaccinés avec température de plus de 40 degrés n’auront pas d’infection bactérienne invasive! Dans cette étude, les autres drapeaux rouges discriminants étaient :
– L’inquiétude parentale (« cette maladie-ci est différente des autres fois ») – rapport vraisemblance positive de 14… donc encore plus déterminant qu’une température de plus de 40 degrés.
– À l’examen physique, la cyanose, le rythme respiratoire élevé, la difficulté respiratoire, les marqueurs de pauvre circulation périphérique, l’état de conscience anormal, une irritation méningée et les pétéchies étaient les signes associés aux rapports de vraisemblance positifs les plus élevés (plus de 5)… cela semble évident pour quiconque pratique dans une urgence et confirme notre impression initiale lorsqu’on évalue un enfant. D’ailleurs, l’impression du clinicien que « quelque chose ne va pas » chez un enfant fébrile augmente par un facteur de 24, le risque d’infection sérieuse. Dans cette étude, l’échelle de Yale ne semblait pas apporter de bénéfice pour mieux stratifier les enfants à risque élevé.
(voir les tableaux détaillés de l’étude pour les détails et tous les rapports de vraisemblance:
http://www.thelancet.com/…/PIIS0140-6736(09)62000-6/abstract)
Bref, je retiens de ces deux études quelques perles :
– Le parent qui consulte pour la fièvre ne désire pas nécessairement une prescription d’antibiotiques, mais bien davantage un examen physique complet et notre avis diagnostic sur la cause.
– Les parents apprécieraient des pamphlets explicatifs ou ressources écrites pour les visites subséquentes et les éléments qui justifieraient de consulter de nouveau
– Une température de plus de 40 degrés augmente légèrement le risque d’infection invasive, quoique 95 % de ces enfants n’auront qu’une infection virale bénigne finalement
– L’inquiétude parentale, l’impression que « cette fois-ci c’est différent », mérite d’être entendue et évaluée par le clinicien
Ainsi, pour le parent, ce n’est pas la fièvre en elle-même qui devrait pousser à rechercher rapidement un avis médical… la température élevée est une réponse physiologique tout à fait normale, même protectrice, qui aide l’enfant à combattre un microbe. C’est plutôt les signes et symptômes qui accompagnent la température qui méritent d’être observés. Basé sur les tableaux dans l’étude tirée du journal The Lancet, on pourrait vulgariser ainsi les signes d’urgence pour les parents :
« Consultez rapidement si l’état général de votre enfant se détériore, qu’il est pâle ou bleuté, qu’il semble chercher son souffle ou respirer très vite, ou s’il n’interagit plus comme avant avec son environnement (comateux, diminution de l’état de conscience), ou s’il présente des boutons très rouges/violacés qui ne disparaissent pas lorsqu’on appuie dessus (ie des pétéchies, voir la photo annexée)…
Je vous réfère en complément à un résumé que j’avais préparé d’un guide clinique pour l’évaluation des enfants de moins de 2 ans avec fièvre et un bon état général, publié dans le journal américain Annals of Emergency Medicine au printemps 2016:
En espérant cet écrit utile, pour nous aider à mieux rassurer les parents lors des visites pour un enfant fébrile,
Frédéric Picotte, MD
Urgence Shawinigan
Bont EG, Loonen N, Hendrix DA, Lepot JM, Dinant GJ, Cals JW. Childhood fever: a qualitative study onparents’ expectations and experiences during general practice out-of-hours care consultations. BMC Fam Pract 2015;16:131. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4597376/
Dr Ann Van den Bruel et al. Diagnostic value of clinical features at presentation to identify serious infection in children in developed countries: a systematic review:
http://www.thelancet.com/…/PIIS0140-6736(09)62000-6/abstract)