Le patient en traitement oncologique est vite trié comme une urgence potentielle : tout le monde connaît bien la neutropénie fébrile, son protocole, le traitement antibiotique à large spectre. Quand le système immunitaire est affaibli par la chimiothérapie, on sait qu’il faut réagir vite. On attend le décompte des neutro et hop ! Chambre privée en iso préventive, pas de température rectale, antibio… c’est réglé !
Mais les temps changent. De nouveaux traitements ont fait leur apparition et gagnent en popularité pour traiter nos patients qui souffrent d’un cancer : l’immunothérapie… et plus particulièrement, les inhibiteurs de checkpoint. L’idée est excellente : maximiser le système immunitaire pour qu’il reconnaisse les cellules cancéreuses et qu’il s’en débarrasse de lui-même. Bref, au lieu d’avoir une neutropénie et un système immunitaire à plat, ces patients ont désormais un système immun un peu plus fort… parfois trop… à devenir « auto-immun»!
Maladie inflammatoire de l’intestin subite, maladie d’Addison, coma myxœdémateux, pneumonite interstitielle… choisissez votre maladie auto-immune, vous avez le choix ! Le problème, c’est qu’à défaut de connaître ces nouvelles molécules d’immunothérapie, on ne fera souvent pas le lien entre le patient sous chimio et une maladie auto-immune causée par ce traitement. Et parfois, cet effet indésirable peut évoluer rapidement. Des décès ont été rapportés.
Bref, le médecin d’urgence et les équipes en première ligne doivent reconnaître ces nouveaux médicaments pour agir rapidement, et débuter au besoin une corticothérapie.
Pensez au patient avec dyspnée importante, hypoxie, toux et un infiltrat au rayon-X… Le clinicien serait tenté de traiter simplement le patient avec des antibiotiques à large spectre, en suspectant une pneumonie chez un patient immuno-supprimé. S’il ne reconnaît pas la possible pneumonite auto-immune et qu’il n’administre pas en plus une corticothérapie IV, le pronostic s’assombrit. Le patient va se détériorer une fois hospitalisé à l’étage. Même chose pour le patient avec diarrhées sanguinolentes et douleur abdo sous chimio : tout le monde pense à la colite infectieuse, mais qui soupçonne d’emblée une maladie inflammatoire auto-immune due à l’immunothérapie oncologique ? Si on ne connaît pas cet effet indésirable possible, on risque de retarder le diagnostic et le traitement approprié. Le médecin d’urgence doit donc être à l’affût de ces nouveaux « inhibiteurs de checkpoint », et au besoin, parler rapidement à l’oncologue de garde, si un doute émerge.
Qui sont ces nouveaux agents révolutionnaires ? Même si le groupe risque de s’élargir avec les années, les principales molécules à reconnaître sont actuellement les suivantes :
- ipilimumab
- pembrolizumab
- nivolumab
- avelumab
- atezolizumab
- durvalumab
On peut se rappeler du « umab » ou du « zumab » à la fin de chacune des molécules… cette terminologie veut dire « anticorps humain » ou « anticorps humanisé ». Ne vous laissez toutefois pas tromper par tous les patients sous « denosumab » – le Prolia – qui traite l’ostéoporose… ainsi, tous les « umab » ne font pas partie de l’immunothérapie oncologiques des « inhibiteurs de checkpoint »… vous pouvez vérifiez dans votre application de référence pharmacologique préférée, avant de déranger votre oncologue pour rien !
Heureusement, les effets secondaires auto-immuns graves de ces molécules sont rares, soit 1-2%. Toutefois, vu le nombre d’indications potentielles à venir, il faut apprendre à penser différemment, lorsqu’on reçoit un patient sous chimio. Certains patients pourraient avoir un système immun déréglé à la hausse… et si ce patient avec fatigue importante, mal de ventre et hypotension orthostatique / perte de conscience était un cas d’insuffisance surrénalienne sévère ? Avez-vous pensé doser le cortisol ?
Depuis mars 2017, la RAMQ autorise l’achat du nivolumab pour traiter le mélanome, le cancer du rein et du poumon. Vous verrez bientôt ces patients dans vos urgences… ils y sont déjà. Avez-vous bien révisé le protocole de chimio du patient ? Un médicament en « umab » actif ou récent ? Est-ce que la raison de consultation peut être une maladie auto-immune ?
- Pneumonite ou pneumpathie intersitielle – dyspnée, toux, hypoxie, infiltrat en plaques ou en verre dépoli
- Colite (MII) – douleur abdo, diarrhées, rectorragies, mucus
- Hépatite – fatigue, nausée, ictère, dleur HCD, ALT augmentée
- Néphrite – anurie, IRA
- Diabète / acidocétose diabétique – hyperglycémie
- Insuffisance surrénalienne – faiblesse, hypotension, HTO, nausée, douleur abdo, myalgies, hyperpigmentation
- Hypothyroïdie, hyperthyroïdie
- Hypophysite / hypopituitarisme
- Stevens-Johnson – rash, ampoules, ulcères, atteinte muqueuses
- Guillain-Barré / syndrome démyélinisant ou myasthénique
- Encéphalopathie (exclure cause infectieuse)
Le délai médian d’apparition est de 5 à 14 semaines après le début du traitement. Nous n’avons pas besoin de tout connaître sur les traitements de ces complications ou les grades de sévérité. Il nous suffit de repérer le nom de ces nouvelles molécules « umab », et d’éliminer ensuite une possible maladie auto-immune, basée sur les symptômes du patient. Dans le doute, un appel à l’oncologue ou à votre interniste pourrait raccourcir le délai de traitement. Par ailleurs, ces réactions sont parfois retardées : elles pourraient apparaitre des semaines, voire des mois après la dernière dose de traitement. Il faut donc rester vigilant.
Dans le cas d’une complication suspectée, je rappelle qu’il est bénéfique pour tous de déclarer l’effet indésirable à Santé Canada dans le cadre du programme MedEffet :
Ou simplement de les appeler sans frais au 1-866-234-2345.
Ces médicaments sont une nouvelle percée pour améliorer la qualité de vie et la survie de nos patients oncologiques. Ce sont d’excellentes molécules, avec un futur prometteur. Néanmoins, de par leur mécanisme immun, ils sont appelés à nous confondre dans notre diagnostic différentiel. Bonne révision de vos profils médicamenteux… et de vos syndromes auto-immuns !
Frédéric Picotte, MD
Urgence de Shawinigan
Référence :
http://francais.medscape.com/voirarticle/3601657
Michael A. Postow. Managing Immune Checkpoint-Blocking Antibody Side Effects. http://meetinglibrary.asco.org/record/106336/edbook#fulltext
Cousin S, Italiano A. Toxicity profiles of immunotherapy. Pharmacol Ther. 2017 Jul 14. pii: S0163-7258(17)30165-1.