Patiente de 63 ans qui présente en pleine nuit avec DRS sous forme de pression qui l’a réveillée. Irradiation cou/dos/épaules x 2. Sueurs, vomissements, souffrante. Patiente a le teint pâle, TA 100/54, FC41. Dx ? Conduite à tenir ?
Vous aurez reconnu l’ECG de l’entête du site. La meilleure façon de manquer un diagnostic est d’en poser un autre… Avec l’histoire ci-haut, l’œil est tout de suite attiré par les signes d’ischémie et le STEMI inférieur avec les changements réciproques associés en latéral (image miroir en aVL, I, D5, D6). Cependant, la bradycardie ici justifie une attention particulière au rythme sous-jacent. Peut-être que la patiente est simplement « vasovagale », mais il faut en être certain… Les ondes P ici sont loin d’être évidentes. Comme on le voit en portant une attention soutenue au tracé, il semble y avoir des ondes P qui ne sont pas conduites… c’est plus évident en D2. Nous avons donc affaire à un bloc du 2e ou du 3e degré… Il faut donc sortir le compas et tenter de poser le diagnostic, malgré des ondes P difficile à cerner sur la bande de rythme… d’ailleurs, l’infirmière m’avise que la pression vient de chute à 85/45. Le bolus de salin est en cours… J’utilise habituellement V1 pour mieux visualiser les ondes P. Dans cet ECG toutefois, D2 aurait probablement été mieux approprié, mais le temps presse… Avec un compas et beaucoup de patience, on arrive à déceler les ondes P et leur régularité sur le tracé…
(cf photo ECG annoté : les lignes bleues représentent les ondes P)
Pour faire le dx, on doit ensuite s’attarder à l’intervalle PR : ici, le segment PR (voir ECG ici haut, les PR sont annotés en rouge) demeure constant… il n’allonge pas de façon progressive et ne varie pas de manière aléatoire non plus. Le diagnostic est donc un bloc AV du 2e degré de type Mobitz II, causé par un STEMI inférieur et atteinte du cœur droit (voir le ST légèrement surélevé en V1 avec ST abaissé en V2). Donc, en plus d’éviter à tout prix la nitro chez cette patiente comme beaucoup d’entre vous l’ont souligné, je dois planifier la thrombolyse et aussi un pace endoveineux, si la patiente demeure symptomatique après le traitement de l’ischémie et les bolus. Nous avons donc procédé à la thrombolyse. La patiente demeurait souffrante et asthénique, avec des tensions limites. Quelques minutes plus tard, la patiente a présenté un épisode de torsade de pointes et a été défibrillée avec succès. Il n’y a pas eu de récidive avec le Mg, la dopamine (le traitement de la brady diminue les chances de récidive) et finalement le pace endoveineux (le pace externe captait mal et rendait la patiente souffrante… je serais d’ailleurs curieux de connaître votre expérience avec le pace externe, lorsqu’il est nécessaire et en attente d’un traitement définitif… je ne peux pas dire que ça marche toujours bien). Le transfert vers Montréal s’est fait sans incident ensuite. La coro a révélé la sténose sur la coronaire droite.
Ainsi, lors de la lecture rapide de l’ECG, il est important de demeurer systématique et de ne pas perdre de vue le détail dans l’énormité d’une autre trouvaille.
Pour résumé, voici mon approche lorsque le patient est bradycarde avec « trop d’ondes P pour le nombre de QRS » et que je songe à un bloc AV :
1) Trouver les ondes P (idéalement en V1, parfois en D2) et mesurer leur régularité avec un compas (vérifier qu’il n’y en a pas d’ondes P cachées à mi-chemin entre deux onde P évidentes… il faut parfois être très perspicace comme dans cet ECG)
2) S’assurer que l’intervalle entre les ondes P est constant. Si une onde P arrive « trop tôt » et qu’elle n’est pas conduite, il ne s’agit pas d’un bloc AV, mais plutôt d’une simple ESA bloquée. Pas besoin de pace ou de réveiller votre consultant alors !! Si l’intervalle entre les P est constant et qu’un P n’est pas conduit, il s’agit alors d’un bloc AV du 2e ou du 3e degré…
3) Regarder l’intervalle PR pour poser le dx final
a. Intervalle PR augmente progressivement ad une onde P non-conduite – bloc AV 2e de type Mobitz I
b. Intervalle PR est constant – bloc AV 2e de type Mobitz II
c. Intervalle PR varie de manière complètement aléatoire, sans régularité / pattern – Bloc AV 3e degré.
En espérant ce résumé utile,
merci pour votre intérêt et vos réponses,
Dr Frédéric Picotte
Médecin de famille