Femme de 57 ans avec DRS répétées depuis 2-3 semaines. ECG normal. 2 tropo normales. Angine instable possible. Épreuve d’effort à faire… Doit-on observer patiente / hospitaliser en attendant ? Quelle est la prévalence d’événements cardiaques sérieux à court terme (arythmie, développement d’un STEMI, mort subite) chez les patients qui présentent avec DRS et bilan normal?
Cette étude observationnelle publiée dans le JAMA le 18 mai 2015 cherchait justement à élucider cette question très pertinente. Les auteurs ont révisé une banque de données de 45 416 visites provenant de 3 hôpitaux du Midwest américain où le patient avait été observé ou hospitalisé pour une DRS. Les dépouilleurs des dossiers n’étaient pas au courant de la question clinique (à l’aveugle). Le critère d’évaluation primaire était composé d’une arythmie majeure, d’un STEMI, d’un arrêt cardiorespiratoire ou du décès per observation / hospitalisation. 11 230 patients avec deux troponines normales ont été retenus pour analyse. Seulement 20 parmi ces 11 230 patients ont eu un événement du composé primaire, soit 0.18%. En excluant les patients avec signes vitaux inquiétants ou un ECG anomal (ie signes d’ischémie à l’ECG, BBG, rythme pacemaker), il ne restait que 4 événements indésirables sur l’ensemble de la population. De ces 4 événements, 2 étaient non-cardiaques et 2 possiblement iatrogéniques liés à l’hospitalisation.
La conclusion parle d’elle-même : chez les patients admis pour DRS avec deux troponines normales, des signes vitaux rassurants et un ECG normal, les événements cardiaques sont excessivement rares et les effets secondaires iatrogéniques liés à une hospitalisation possibles. Il semble donc que l’hospitalisation chez ces patients ne soit pas bénéfique en elle-même, et traite l’anxiété du clinicien plutôt que le patient lui-même.
On pense souvent que l’hospitalisation et la surveillance d’un patient est plus sécuritaire dans les cas de DRS avec histoire préoccupante, mais on pense moins aux conséquences néfastes telles qu’infections nosocomiales, maladies thromboemboliques veineuses, chutes, délirium, etc…
Quelques points saillants et limites à mentionner toutefois : dans cette banque de données de 45 416 visites, 22 457 patients (soit 49.45%) ont été hospitalisés ou admis dans une unité d’observation, malgré le fait que la moitié (11 230 patients) avaient deux troponines normales. Ça fait beaucoup de patients observés, comparativement à notre population québécoise ! A-t-on « dilué » les complications vu le nombre importants de patients à bas risque admis? D’un autre côté, un haut taux d’admission porte à croire que les événements indésirables sérieux à court terme ont été identifiés, puisque tous ces patients étaient sous haute supervision.
Évidemment, cette étude provient de seulement 3 hôpitaux du Midwest américain et il s’agit d’une étude observationnelle, donc plus sujette aux biais potentiels. Des événements ont pu être manqués si congé précoce de l’urgence ou si le patient n’a pas été observé, même si probablement assez rare vu le haut taux d’admission, tel que discuté plus haut. Puisqu’il n’y a pas eu de suivi téléphonique, on peut aussi avoir manqué des événements plus tardifs ou possiblement des patients qui auraient consulté dans un autre centre après une observation négative, l’étude étant basée sur la revue des dossiers des patients hospitalisés ou observés pour des DRS. Finalement, 26 patients avec ECG normaux et tropo normales dans cette population ont eu droit à une coronarographie rapide per hospitalisation afin de les stratifier: de ces patients, 22 ont eu droit à une intervention par stent ou pontage (donc 0.2 % de la population)… peut-être qu’un événement indésirable sérieux a été prévenu chez ces patients, grâce à l’accessibilité rapide à la coro ? Selon les auteurs cependant, d’autres études dans la littérature questionnent le bénéfice d’une intervention par coro chez les patients sans facteur de mauvais prognostic. Par ailleurs, la complication du «NSTEMI» n’a pas été comptabilisée dans le composé primaire, car jugée « moins sérieuse » (pas de morbidité importante qu’on prévient avec l’observation hospitalière). Est-il possible que le traitement per hospitalisation avec héparine IV et « repos relatif » aient aussi contribué à diminuer le taux d’événements indésirables (ie il y aurait eu plus des complications si le patient avait eu son congé)? Il faudra un devis d’étude randomisée contrôlée pour répondre à cette question.
Dans la discussion, les auteurs mentionnent qu’il faut donc hospitaliser plus de 1817 patients avec deux tropo normales, signes vitaux normaux et un ECG normal pour prévenir un événement sérieux. Ils soutiennent qu’il ne s’agit pas de ne plus investiguer les DRS avec bilans négatifs, mais bien qu’un suivi en externe semble tout aussi sécuritaire qu’une courte hospitalisation chez ces patients. Il restera à corroborer de manière prospective ces données dans d’autres populations, et peut-être même de conduire une étude randomisée contrôlée sur la question, en tenant aussi compte des complications iatrogéniques comme les infections, le délirium per hospit, etc.
En attendant, ces données s’ajoutent à celles du Heart pathway / Heart score discutées il y a deux semaines… et peuvent aider à rassurer le clinicien pour les patients avec histoire de SCA possible mais jugés à faible risque après les bilans…
Dr Frédéric Picotte
Médecin de famille
Michael B.Weinstock et al. Risk for Clinically Relevant Adverse Cardiac Events
in Patients With Chest Pain at Hospital Admission. JAMA Intern Med.
doi:10.1001/jamainternmed.2015.1674