L’oxygénation « apnéique » consiste à fournir de l’oxygène passivement au patient pendant l’intubation, généralement via une canule nasale. Nous avions déjà des données au bloc opératoire suggérant que cette simple lunette nasale augmentait la période avant une baisse de la saturation pendant l’intubation. Deux études récemment parues en février, du même auteur, se sont attardées à cette technique, dans un contexte de soins aigus à l’urgence. La première est une étude de cohorte impliquant 635 patients, d’un seul centre américain, qui comparait les intubations effectuées par des résidents en médecine d’urgence. Les résidents étaient fortement encouragés durant la période de deux ans à supplémenter les patients en oxygène lors de l’apnée (per intubation), via une canule nasale à 15 L/minute. La lunette nasale à 15 L/min était installée sous un masque non-rebreather (oxygène 100%) lui aussi à 15 L/min, qu’on gardait 3 minutes pour de permettre une bonne pré-oxygénation. Ainsi, seule la canule nasale restait en place lors de la laryngoscopie. Les patients devaient avoir une saturation > 90% avant la procédure pour être inclus dans l’analyse. Après chaque intubation, le médecin résident remplissait une feuille standardisée pour décrire la procédure, la facilité, les complications et les médicaments utilisés. Le critère principal de l’étude a été défini comme une intubation réussie lors de la première laryngoscopie tout en maintenant saturation > 90%. Sur un total de 1140 intubations réalisées, 635 cas ont été analysés dans l’étude : 380 patients dans le groupe oxygénation apnéique passive avec lunette nasale (59.8%) et 255 (40.2%) sans oxygénation. Les résultats sont encourageants. Dans le groupe avec oxygène, 82.1 % ont eu une intubation du premier coup sans désaturation versus 69 % dans le groupe contrôle (différence 13.1%; 95% CI 6.2% to 19.9%). Si on regarde simplement les chances d’une intubation au premier essai sans égard à la saturation, on parle de 90% dans le groupe avec lunette nasale versus 82.4 % dans le groupe témoin (différence 7.6%; 95% CI 2.1% to 13.2%). Dans l’analyse de régression, on parle d’un odds ratio ajusté de 2.2 (adjusted odds ratio [aOR] 2.2; 95% CI: 1.5 to 3.3), ce qui veut dire que le patient supplémenté en oxygène avait plus de deux fois de chance d’avoir un intubation au premier passage sans hypoxie, comparativement au groupe placebo. Nous savons que les patients qui requièrent plus de deux tentatives d’intubation sont beaucoup plus à risque de morbidité et mortalité. Le simple fait de mettre une lunette nasale pendant la procédure pourrait contribuer à améliorer les résultats pour nos patients, sans effet délétère présagé.
Cette étude en était une de cohorte, observationnelle, donc sujette aux biais usuels. Durant l’étude, les auteurs ont noté une forte progression quant à l’utilisation de l’oxygène durant l’intubation, passant de 39 % au départ à 88% durant le dernier mois de recrutement. Comme la feuille standardisée était remplie par le résident suite à l’intubation, il est possible que les données aient été « bonifiées » par l’intervenant, ie un possible manque d’objectivité ici. Cette étude va à l’encontre d’une étude randomisée contrôlée de Semler et al.qui portait sur le même technique mais qui impliquait des patients aux soins intensifs avec intubation urgente nécessaire : on n’avait pas trouvé de bénéfice pour prévenir une baisse de saturation, chez ces patients très malades où la moitié était en insuffisance respiratoire et le tiers déjà sur BIPAP. En bref, Sakles et al. spéculent que le bénéfice de la lunette nasale pourrait être plus grand lorsque le patient nécessite une intubation pour « protection des voies respiratoires », comme on en voit souvent dans les cas de traumatologie ou d’intoxication. Il faudra donc atteindre une étude randomisée à l’urgence pour confirmer ou non le bénéfice de cet ajout.
La deuxième étude californienne, aussi observationnelle, s’attardait aux patients intubés pour hémorragie intracrânienne, sur une période de deux ans. Sur 856 candidats possibles, 127 patients ont été étudiés : 72 patients avec oxygène et 55 sans. Une fois de plus, l’étude a révélé un bénéfice, 7% de désaturation dans le groupe oxygène versus 29 % dans le groupe sans. Lors de l’analyse de régression, on a trouvé un aOR à 0.13, donc 7 fois moins de risque de baisse de la saturation lorsqu’on administrait passivement de l’oxygène au patient via une lunette nasale. Cependant, comme l’étude précédente, les risques de biais sont importants.
Que retirez de ces études ? Ad l’obtention de données probantes supplémentaires, considérant que le risque d’installer une lunette nasale à 15 L/min sous un masque 100% et de laisser cette lunette durant l’intubation présente peu de chance de nuire au patient, j’envisagerais d’employer cette technique, lorsque le temps le permet, particulièrement chez le patient intubé pour des raisons de protection des voies respiratoires supérieures. On sait qu’une baisse de la saturation durant l’intubation génère souvent une anxiété supplémentaire pour le médecin et l’équipe : je juge donc cet ajout potentiellement utile pour notre département.
Espérant le tout pratique lors de votre prochaine intubation,
J’encourage les inhalos à partager avec vos collègues médecins,
Bonne semaine,
Frédéric Picotte, MD
John C. Sakles et al. First Pass Success without Hypoxemia is Increased with the Use of Apneic Oxygenation During RSI in the Emergency Department. Academic Emergency Medicin 2016.
doi: 10.1111/acem.12931
https://www.metajournal.com/…/first-pass-success-without-hy…
John C. Sakles et al. Apneic oxygenation is associated with a reduction in the incidence of hypoxemia during the RSI of patients with intracranial hemorrhage in the emergency department. Intern Emerg Med 2016.
DOI 10.1007/s11739-016-1396-8
http://link.springer.com/article/10.1007/s11739-016-1396-8
Semler MW, Janz DR, Lentz RJ, et al. Randomized Trial of Apneic Oxygenation during Endotracheal Intubation of the Critically Ill. Am J Respir Crit Care Med 2015.
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26426458