Est-ce vraiment possible ? Il semblerait que oui! J’avais déjà diffusé une étude de Kenneth Lee Beadle en 2015 qui démontrait que le fait d’inhaler des lingettes d’alcool isopropylique soulageait la nausée du patient à 10 minutes, davantage que le placebo (une lingette de salin). Cependant, cette petite étude ne répondait pas à une question plus importante : est-ce que une « aromathérapie » à l’alcool isopropylique est aussi efficace qu’un médicament antiémétique utilisé couramment? C’est exactement ce que Michael D April et al. ont voulu mesurer, à l’aide d’une étude randomisée à double insu dans une urgence tertiaire au Texas.
Les chercheurs ont approché 208 patients avec une raison de consultation qui incluait la nausée ou des vomissements. Il s’agissait d’un échantillon de « convenance », ie les patients n’ont pas été sélectionnés de manière consécutive, mais plutôt approchés dès qu’il y avait histoire de nausée/vomissements et qu’un des médecins investigateurs était présent sur son quart de travail. Ce sont les chercheurs eux-mêmes qui vérifiaient les critères d’inclusion et d’exclusion. Les auteurs n’ont pas tenté de mesurer le nombre de patients qui auraient été potentiellement éligibles, on ne peut donc pas exclure une forme de biais de sélection. Les chercheurs spécifient toutefois qu’ils ont recruté des patients de jour, de soir et de nuit, suivant leur présence à l’urgence, pour limiter ce risque.
Les critères d’inclusion étaient : adultes de plus de 18 ans, avec raison de consultation qui incluait nausée ou vomissements, de sévérité d’au moins 3/10, reportée par le patient. Étaient exclus les femmes enceinte, les patients allergiques à l’alcool isopropylique ou au Zofran (ondansetron), les patients incapables d’inhaler (ex: rhinite), les patients sous Cefoperazone/disulfiram/metronidazole, les patients avec QT allongés, ceux avec un état de conscience altéré et ceux avec un possible syndrome sérotoninergique. On a aussi exclus les patients qui avaient déjà reçu un soluté / cathéter IV ou chez qui on avait déjà donné un anti-nauséeux au triage. Finalement, le chercheur pouvait exclure un patient « à sa discrétion », selon son jugement. On note tout de suite que les patients randomisés n’étaient probablement pas les plus « symptomatiques », vu que ceux-ci étaient plus susceptibles de recevoir une médication IV d’emblée, les rendant du coup inéligibles.
Si on regarde la population recrutée, on note que 55% des patients avaient une gastro-entérite, 8 % une intox alimentaire, et une variété de diagnostics variés pour le reste (infections urinaires, céphalée, RGO, vertiges, etc.). 122 sur les 208 patients approchés ont été randomisés. Des 61 patients exclus, 16 l’ont été pour une nausée en bas de 3/10, 12 pour grossesse, 12 avaient déjà un soluté en place, 12 avaient déjà reçu un traitement, 7 exclus selon le jugement du chercheur et 2 pour une rhinite. 25 patients ont refusé de participer à l’étude après explications par les chercheurs. Ces 122 patients ont ensuite été répartis en 3 groupes :
1) inhalation d’alcool isopropylique + Zofran 4 mg PO
2) inhalation d’alcool isopropylique + placebo PO
3) inhalation de salin + Zofran 4 mg PO
L’inhalation de la lingette se faisait en respirant celle-ci à 1-2 cm de la narine, aussi souvent que besoin ressenti par le patient pour diminuer sa nausée. Les lingettes étaient changées aux 10 minutes x 3, puis aux heures, en même temps qu’une évaluation des symptômes était faite par le personnel. L’issue principale était le soulagement de la nausée à 30 minutes. Les issues secondaires incluaient les scores de nausée q 1 heure ad congé, la satisfaction du patient et le besoin d’utiliser un médicament de secours. La durée totale du séjour a aussi été mesurée.
Les auteurs ont fait de gros effort pour préserver l’aveugle, en obscurcissant l’emballage des lingettes et en demandant au patient d’ouvrir lui-même l’enveloppe, pour ne pas que l’évaluateur puisse détecter la senteur de l’alcool versus la lingette de salin. 37.5% à 60 % des patients ont réussi à identifier dans quel groupe de lingette ils avaient été randomisés, versus 7.5 à 10 % pour la pilule.
Les résultats sont tout de même étonnants : sur une échelle de nausée de 100 mm, la réduction de la nausée à 30 minutes était :
- groupe lingette alcool + Zofran 4 mg PO = baisse de 30 mm de nausée
- groupe lingette alcool + placebo = baisse de 32 mm de nausée
- groupe lingette de salin + Zofran 4mg PO = baisse de 9 mm de nausée
Pour un résultat statistiquement significatif ! Incroyable ! La lingette d’alcool semble plus efficace que le Zofran à 30 minutes ! Par ailleurs, les patients qui ont reçu les lingettes d’alcool ont eu en général des scores de nausée plus bas tout au long de leur séjour à l’urgence et des scores de satisfaction plus élevés. Il n’y a pas eu de médication de secours requis avant la première mesure à 30 minutes, et pas de différence significative entre les 3 groupes pour ce paramètre pendant la durée du séjour. Il n’y a toutefois pas eu de changement significatif quant à la durée d’observation à l’urgence. Finalement, il n’y a pas eu d’évaluation directe des effets indésirables.
Que tirer de cette petite étude d’un seul centre ? Et bien, il semble que « l’aromathérapie » à l’alcool isopropylique diminue réellement la nausée, comme l’avait montré l’étude de Kenneth Lee Beadle en 2015. Qui plus est, on sait désormais que ce bénéfice est statistiquement et cliniquement significatif versus l’ondansetron 4 mg PO (on jugeait cliniquement significatif une différence de 20 mm sur l’échelle de la nausée).
Bref, pour un patient avec gastro-entérite ou nausée liée à une autre condition, qui ne nécessite pas de traitement IV ou de soluté d’emblée, voilà un moyen simple de soulager le patient, en particulier à l’urgence mineure… il suffit alors de remettre quelques enveloppes de tampon d’alcool isopropylique au patient au triage et de lui demander de les inhaler au besoin, selon ses symptômes. Il serait pertinent de répéter cette étude dans d’autres centres, avec une population plus grande, en comparant avec une médication IV et en s’intéressant davantage aux effets indésirables, certes. Une chose est sûre… j’aurai dans ma poche quelques enveloppes d’alcool isopropylique, que je remettrai ici et là, aux patients avec un v-bag… et pourquoi pas dans votre armoire de pharmacie, pendant la saison de la gastro. Et vous, les avez-vous déjà utilisées ?
Frédéric Picotte, MD
Urgence Shawinigan
Université de Montréal
Éditeur TopMU
Michael D. April et al. Aromatherapy Versus Oral Ondansetronfor Antiemetic Therapy Among Adult Emergency Department Patients: A RandomizedControlled Trial. Annals of Emergency Medicine 2018, 1-10.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29463461
Kenneth Lee Beadle et al. Isopropyl Alcohol Nasal Inhalation for Nausea in the
Emergency Department: A Randomized Controlled Trial. Annals of Emergency Medicine 2015, 1-9.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26679977
3 comments
Ah oui, j ai trouvé le 1er trimestre horrible. J arrêtais pas de me dire « à quoi bon , de toute façon, tu vas probablement le perdre. » en plus, les nausées n aidaient pas à se sentir bien. J avais du mal à supporter les gens, mon mari. Et puis c est passé (avec les nausées et les vacances aux sports d hiver: pas de ski mais la tartiflette sans nausée m a rendu le moral et a permis de récupérer quelques kilos perdus) Bref, j appréhende une nouvelle grossesse mais en même temps je ne vois pas avec un enfant unique. La famille n est pas complète Alors, si dame nature le veut bien, et ben, on se relancera dans l aventure Courage à toutes les mamans qui vivent des moments pas simples.
Bonjour,
Veuillez transmettre mes très sincères félicitations au Dr Frédéric Picotte,
Je suis fier d’être un de ses patients
Salutations distinguées,
Jean Dugré
Merci M. Dugré ! Je suis honoré !!