C’est une question fréquente dans nos milieux… met-on ce patient sur moniteur cardiaque ou non ? Quels sont vos critères personnels et pourquoi ? Les DRS sont une raison de consultation fréquente et les moniteurs sont limités. Avec le vieillissement de la population, une optimisation des ressources est nécessaire. Comme cette pratique varie d’un clinicien à un autre, d’une urgence à une autre, une étude publiée dans le journal canadien CMAJ a suscité mon intérêt.
Il s’agit d’une étude de validation d’une règle de décision clinique dérivée antérieurement: the Ottawa Chest Pain Cardiac Monitoring Rule. Cette règle simple et canadienne stipule qu’on peut omettre le moniteur cardiaque pour les patients avec DRS qui ont ces deux caractéristiques :
1) patients chez qui la DRS est actuellement résolue
2) et qui n’ont pas de changements significatifs à l’ECG (pas de signe d’ischémie, de bloc de branche, d’élargissement du QRS ou du QT ou du PR, pas de HVG, de rythme de pace ou d’arythmie décelé sur l’ECG)
Les ECG avec des « changements non-spécifiques des ondes T ou ST » étaient considérés comme « normaux » dans cette étude. Étaient exclus les patients avec arrêt cardiaque à l’arrivée et les STEMI. Les patients avec DRS ont été enrôlés de manière prospective, dans deux urgences tertiaires de la ville d’Ottawa. L’issue primaire était une arythmie dans les 8 heures suivant l’arrivée à l’urgence, qui nécessitait un traitement. Un suivi téléphonique a été effectué à 30 jours pour tous les patients, pour tenter de retracer toutes les événements potentiels, ainsi qu’une révision des dossiers médicaux. Sur 1329 visites potentielles, 1125 ont été retenues comme éligibles (121 patients des 1329 – donc 9.1% – exclus parce que le formulaire de recrutement n’a pas été rempli par le MD lors de la visite). 796 de ces 1125 patients (70.8%) ont finalement été mis sur moniteur cardiaque pour évaluation. Sur tous ces patients « monitorisés », seulement 15 (1.9%) ont eu une arythmie nécessitant une intervention. Les arythmies les plus communes étaient la FA et le flutter. Tous ces patients avec une arythmie avaient un ECG « anormal », selon la règle d’Ottawa décrite ci-haut. Des 329 patients qui n’ont pas été mis sur moniteur parmi les 1125 éligibles, aucune complication arythmique n’a été reportée pendant leur observation à l’urgence, ou à la révision des dossiers, ainsi que par contact téléphonique à 30 jours. Le coefficient d’accord inter-observateur pour un « ECG anormal » était très bon dans l’étude, soit de 0.84. Il est à noter que les deux études, dérivation et validation, ont été faites dans les mêmes centres canadiens, donc la validité externe ailleurs dans le monde serait à étudier.
Les résultats sont encourageants : la règle a obtenu une sensibilité de 100%, avec une spécificité de 36.4%. Appliquée dans cette population, la règle aurait permis d’éviter un monitoring cardiaque pour 36 % des patients (286 des 796 patients).
Les auteurs suggèrent donc que le personnel infirmier clarifie avec le patient si la DRS est résolue au triage ; si tel est le cas, l’ECG pourrait ensuite être montré à l’urgentologue, pour s’assurer de l’absence d’anomalie significative. Le patient pourrait ensuite attendre une prise en charge, sans monitoring cardiaque, si les deux conditions sont respectées, diminuant d’un tiers le recours à la télémétrie pour nos usagers avec DRS.
Les DRS sont une raison fréquente de consultation, mais seulement 12-15% recevront éventuellement un diagnostic de SCA. L’étude a confirmé les données antérieures comme quoi les arythmies chez les patients avec DRS sont peu communes : selon les données déjà publiée citées dans l’étude, 99.4% des alarmes de moniteur dans cette population sont « erronées », donc sans véritable arythmie décelée. Selon l’étude de dérivation précédente de la règle d’Ottawa, seulement 1.7% des patients avec DRS ont finalement eu un diagnostic d’arythmie.
Ainsi, la prochaine fois que vous serez à court de moniteur ou de télémétrie dans votre urgence, sachez que cette étude canadienne peut vous aider à faire le « ménage », avec données probantes à l’appui.
Frédéric Picotte, MD
Urgence de Shawinigan
Shahbaz Syed et al. Prospective validation of a clinical decision rule to identify patients presenting to the emergency department with chest pain who can safely be removed from cardiac monitoring. CMAJ January 30, 2017 vol. 189no. 4 E139-E145.https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5266567/
Lien vers étude complète:
http://www.cmaj.ca/content/189/4/E139.full
NB : la photo jointe démontre un beau cas d’artéfacts… ie fausse alarme ! voir la première dérivation tout en haut pour le diagnostic !