« Madame Aucoin, depuis combien de temps vous ne pouvez plus bouger votre côté droit? » Cette question était fatidique, quasi à la minute près, il y a de cela quelques semaines encore. Le temps faisait toute la différence entre un traitement invasif ou non. C’est encore le cas d’ailleurs, pour déterminer si on administre la thrombolyse ou non. « Je sais, ce n’est pas facile, mais essayez d’être précise svp»… Auparavant, si le patient se réveillait ainsi, paralysé, sans délai objectivable, on ne pouvait recommander un traitement invasif… c’était une admission avec un traitement médical conservateur. Mais voilà que 2 études parues dans le NEJM dans les dernières semaines semblent vouloir changer la pratique. Elles suggèrent qu’il y aurait un bénéfice marqué à une approche invasive par thrombectomie urgente chez les patients qui ont des symptômes d’AVC entre 6-16 heures (ad 24 heures dans une étude)… on parle de DAWN et DEFUSE 3.
Je ne ferai pas ce jour d’évaluation approfondie de ces données. Je vous laisse vous faire votre propre idée, car cela est somme toute complexe. J’ai pris la peine de constater les critères d’inclusion et d’exclusion des 2 études. C’est d’ailleurs ici que réside la première difficulté à mon œil. Les patients doivent présenter une occlusion de la circulation antérieure proximale et un volume d’infarcissement cérébral limité à l’imagerie (ce degré de zone infarcie limite variant selon l’âge ou la sévérité des symptômes, dans l’étude DAWN). Dans l’étude DEFUSE 3, on dit que les “ patients were eligible if they had an initial infarct volume (ischemic core) of less than 70 ml, a ratio of volume of ischemic tissue to initial infarct volume of 1.8 or more, and an absolute volume of potentially reversible ischemia (penumbra) of 15 ml or more.” Oh my god ! Voilà de quoi changer le contenu usuel de nos rapports de scan. Et c’est sans compter les 16 critères d’exclusion qu’on doit aller chercher dans les suppléments ici : http://www.nejm.org/doi/suppl/10.1056/NEJMoa1713973/suppl_file/nejmoa1713973_appendix.pdf… à noter que le fait d’être sur NACO ou sur coumadin n’était pas une contre-indication absolue, si le RNI était inférieur à 3 pour le coumadin. Le patient devait avoir des plaquettes supérieures à 50 et une pression traitée pour < 185/110.
Si vous trouviez que les critères de thrombolyse étaient complexes, disons qu’on vient d’ajouter un défi dans l’interprétation de l’image radiologique aussi. Heureusement, nos radiologistes pourront nous aider… j’espère d’ailleurs qu’il y aura bientôt une conclusion dans le rapport du genre : « sur le base des images, pourrait être un candidat radiologique à une approche invasive par thrombectomie ». J’ai un peu de difficulté à imaginer le patient moyen de l’étude qui pourrait bénéficier de la technique, et cela nous amène à l’importance de bien choisir nos patients. Comme toutes les nouvelles procédures, les individus recrutés sont souvent « très sélectionnés », ce qui complique ensuite l’applicabilité à une population comme celle que l’on rencontre dans nos milieux. D’ailleurs, dans l’étude DEFUSE 3, 107 des 289 potentiellement éligibles n’ont pas été retenus (donc un total de 182 patients randomisés). Est-ce que le patient que vous avez sous les yeux correspond au patient moyen qui a été étudié dans l’étude ? Est-ce qu’il y a une grande discordance entre la sévérité des symptômes cliniques de votre patient et le résultat plutôt rassurant de l’imagerie cérébrale ? Le temps moyen après début des symptômes ad la randomisation était de 10-12 heures dans ces études… et il fallait une heure de plus en moyenne ad la ponction fémorale dans l’étude DEFUSE 3. Bref, votre neurologue ou votre interniste sera certainement d’une précieuse aide pour bien identifier les patients qui pourraient désormais profiter d’une approche par thrombectomie invasive, malgré une présentation retardée ou un AVC au réveil.
Mais pourquoi tant d’encre pour ces 2 études ? Les résultats sont tout de même étonnants. Dans l’étude DEFUSE 3, à 90 jours, le groupe thrombectomie avait un taux plus élevé d’indépendance fonctionnelle (45 % versus 17 %, pour un NNT de 4). On note aussi une mortalité plus faible (14 % versus 26 %, pour un NNT de 8). Dans l’étude DAWN, le NNT pour l’indépendance fonctionnelle était de 3, sans changement significatif pour la mortalité. Les effets indésirables sérieux semblaient comparables.
Une chose est certaine. Ces deux études changent la pratique. Elles ont d’ailleurs déjà été incorporées à la page 28 de la mise à jour du guide pratique sur l’AVC de l’AHA/ASA de janvier 2018 (nouvelle recommendation « IA »):
http://stroke.ahajournals.org/content/early/2018/01/23/STR.0000000000000158.long
Je vous laisse aussi les liens vers les 2 études originales, au cas où vous voulez vous mettre en tête les critères d’inclusion et d’exclusion, ou pour pouvoir les montrer à votre consultant préféré.
Étude DAWN (4 janvier 2018) : http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1706442
Étude DEFUSE 3 (24 janvier 2018): http://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1713973
Ainsi, si les symptômes d’AVC sont incommodants et datent entre 6-16 heures (ad 24 heures), un angio CT cérébral urgent et une bonne discussion avec vos spécialistes pourrait être de mise! Voilà de nouvelles données qu’il faut diffuser !
Merci !
Frédéric Picotte, MD
Urgence de Shawinigan
Université de Montréal
Éditeur TopMU