Combien de fois avez-vous reçu un patient avec DRS, irradiation classique, sueurs, et un ECG « douteux »? Un ECG qui ne remplissait pas tout à fait son « millimètre » de sus-décalage, où vous avez dû sortir votre loupe pour en être certain, demander à votre collègue, vous questionner avec l’externe qui vous accompagnait ce jour-là : « non, il n’y a pas tout à fait le 1 mm requis, ce n’est pas un STEMI ». Avez-vous déjà essuyé un refus pour une intervention percutanée urgente parce que le sus-décalage était jugé « insuffisant »? Vous est-il arrivé d’admettre un tel « NSTEMI » à l’unité, pour apprendre qu’à la coro deux jours plus tard, son IVA était complètement occluse ?
Pensez-vous que les critères diagnostics du STEMI soient très puissants pour le diagnostic d’une coronaire complètement occluse (ie un infarctus transmural) ? Saviez-vous que selon une étude de Carley et al. parue en 2002, les médecins ne s’entendaient même pas entre eux sur l’endroit et le segment de référence pour mesurer l’élévation du ST ! Si je vous parlais d’une sensibilité qui varie de 50-85 %, selon les études, pour une coronaire thrombosée, seriez-vous surpris? Est-ce qu’en basant nos décisions de prise en charge invasive urgente sur une mesure déjà loin d’être parfaite, on échappe des patients qui bénéficieraient vraiment d’une approche invasive immédiate? En effet, au fond, ce n’est pas tant le sus-décalage qui compte, mais de savoir chez quels patients avec SCA l’artère coronaire est complètement occluse.
Les Dr Stephen Smith, Scott Weingart et Pendell Meyers ont publié un manifeste sur le sujet, the « OMI manifesto », où ils remettent justement en question toute la question du « STEMI versus NSTEMI », en mettant l’emphase sur le besoin de changer de paradigme, de rechercher plutôt l’occlusion aiguë. Ils argumentent que la distorsion cognitive du « STEMI » versus un concept plus général « d’occlusion aiguë » fait en sorte qu’on accorde trop d’importance à l’élévation du ST, souvent dans des contextes de faux positifs (repolarisation précoce), en minimisant les autres cas où l’ischémie est pourtant sérieuse, mais moins évidente. Selon eux, ce paradigme nous encourage à reléguer au deuxième rang tout ce qui n’est pas STEMI, comme lors d’un SCA avec douleurs persistantes malgré traitement médical maximal. Leur objectif n’est pas d’encourager des coro urgentes à tous les NSTEMI, mais plutôt d’améliorer les connaissances en ECG des cliniciens pour mieux cerner les cas à prioriser… de nous rendre en quelque sorte meilleurs pour déceler rapidement les « STEMI subtiles », ceux chez qui une approche urgente invasive a démontré un bénéfice. Dans le manifeste, les auteurs reportent plusieurs études où des coro urgentes ont été faites pour des patients avec SCA classifiés comme des « NSTEMI ». Selon ces données, de 25 à 48 % de ces patients avaient une coronaire complètement occluse avec un « TIMI flow » à 0. Par ailleurs, les patients avec NSTEMI et une telle occlusion totale avaient un risque plus élevé de mortalité à court (RR 1.67) et à moyen / long terme (RR 1.42). Plusieurs outils nous sont ensuite proposés dans le Manisfeste pour justement améliorer notre acuité diagnostique. La formule du « SubtleSTEMI » à 3 ou 4 variables en est un bon exemple (disponible sur le app store, à télécharger dans votre téléphone intelligent). Par ailleurs, d’autres signes tels que la distorsion du QRS terminal et les ondes T hyperaiguës sont d’autres indices très spécifiques à rechercher.
Lorsque je parcours le site du Dr Smith, je me sens souvent novice en ECG, car la réponse se trouve souvent dans le détail, le petit, l’exception. C’est d’ailleurs pourquoi je pense qu’il est impératif que les cliniciens et le personnel infirmier à l’urgence soient au courant de ces subtilités et outils; car ensemble, on risque d’attraper un patient qui serait glissé entre les mailles du filet sinon. Un faux « NSTEMI » qui nécessite une coro urgente. Même si la lecture d’un ECG devrait toujours être faite de manière systématique, je vous encourage à mettre plus de temps, lorsque la présentation du patient pour un SCA vous inquiète. Et pas seulement pour les sus-décalages… Y a-t-il d’autres critères plus sensibles et spécifiques présents, comme le Sgarbossa modifié avec un BBG? Voyez-vous des ondes T de Winter? Pourrait-il s’agir d’un STEMI postérieur isolé ? Et si la douleur persiste, à contrôler l’ECG dans 20-30 minutes. 20% des STEMI avec présentation précoce auront un premier ECG normal.
Si tous ces termes vous sont plus ou moins familiers, allez mettre la main sur ce récent article de synthèse de Miranda et al. (référence en bas du texte), qui vous résumera le tout en une dizaine de pages, avec images à l’appui. Ou rendez-vous directement dans le « OMI Manifesto », gratuit et disponible pour tous; vous trouverez un tableau résumé à la page 34 des signes subtils à rechercher sur votre ECG.
En tant qu’équipe à l’urgence, nous nous devons d’être expert pour reconnaître rapidement les ECG critiques, « when time is muscle ». C’est pourquoi je vous encourage à consulter aussi régulièrement le site de Dr Smith, et les capsules vidéos hebdomadaires de Dr Mattu (ECG Weekly).
Bonne lecture d’ECG,
tout en subtilité, surtout lorsque l’histoire vous inquiète…
Frédéric Picotte, MD
Urgence Shawinigan
Université de Montréal
Docsdurgence.com
Éditeur TopMU
Topmu.ca
Article synthèse (à conserver dans votre tablette) pour le diagnostic ECG de l’ischémie à l’urgence (avec Dr Smith comme co-auteur) :
David F.Miranda et al. New Insights Into the Use of the 12-Lead Electrocardiogram for Diagnosing Acute Myocardial Infarction in the Emergency Department. Canadian Journal of Cardiology, Volume 34, Issue 2, February 2018, 132-145. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0828282X1731173X
Présentation du « OMI Manifesto » sur le blogue de Dr Smith :
http://hqmeded-ecg.blogspot.ca/2018/04/the-omi-manifesto.html
« The OMI Manifesto » (Occlusion Myocardial Infarction Manifesto), en pdf :
https://drive.google.com/file/d/1fggo_ocVhEsIUVNPDQxNsmTiGV8MVlmm/view
Carley et al. What’s the point of ST elevation? Emerg Med J. 2002;19:126-128.
Dr Mattu et ses vidéos https://ecgweekly.com/