La fameuse « DEG » ou « Diminution de l’Etat Général » est probablement la plus inquiétante boîte à surprises qu’on retrouve sur une feuille de triage à la salle d’urgence. Malheureusement, mon a priori est souvent défavorable : un patient en perte d’autonomie sans cause véritable, ou un patient trop atteint cognitivement pour fournir une histoire, peut-être même un patient qui a trop de plaintes concomitantes pour pouvoir toutes les résumer en trois ligne… Disons que ma curiosité scientifique et mon sentiment d’urgence d’intervenir n’est généralement pas à son plus haut niveau dans ces cas-là! Je fais donc mon mea culpa en vous partageant un cas récent. Vous trouverez ci-joint la feuille de triage d’une patiente de 88 ans avec troubles cognitifs connus qui présentait pour confusion augmentée et fugue. Vous noterez les signes vitaux normaux, l’absence de plaintes ou symptômes chez cette patiente « simplement plus mêlée ». Comme je vois les patients avec troubles cognitifs comme « historiens plus difficiles », j’ai tendance à demander un bilan de base et un ECG en attendant de les voir… même s’il n’y a pas de DRS / syncope… En effet, outre le temps humain requis, le coût de l’ECG réside dans le prix d’un « bout de papier imprimé ». Certains pourraient dire que c’est futile en l’absence de symptômes d’appel, mais on sait que les patients âgés sont plus à risque de polypharmacie, de maladie du sinus, d’arythmie, de troubles électrolytiques… des manifestations qui pourraient être décelées rapidement à l’ECG (QT allongé par exemple, etc.). Les chances de trouver quelque chose restent faibles dans ces situations, mais de faire un ECG ne comporte pas de risque / grands coûts pour le patient et le système de santé.
L’infirmière m’amène rapidement l’ECG de cette patiente, inquiète: on note un sus-décalage du ST en V2-V3, sans changement réciproque clair cependant… j’ai donc dû réévaluer mon niveau d’urgence à la hausse. J’ai révisé le dossier antérieur et l’ECG fait en avril : l’élévation du ST était nouvelle. J’ai questionné la patiente promptement : pas de DRS, pas de dyspnée, pas de sueurs, pas de douleur abdominale ou DTEI. Pas de syncope, DPN, orthopnée. Rien de rien. Seulement une confusion augmentée depuis ce jour notée par la résidence et le fils, avec de possibles hallucinations visuelles. La patiente se sentait bien sinon. Par surcroît, mon examen physique était complètement normal. Devant cet ECG pour le moins inquiétant et en attendant les troponines, j’ai demandé à mon interniste s’il pouvait faire une écho cardiaque rapide pour déceler des anomalies de contractilité qui renforceraient le diagnostic d’infarctus. L’écho faite au chevet a confirmé une akinésie septale, apicale et antérieure. La troponine est revenue à 1.52, fortement positive. Nous étions devant un « delirium », vraisemblablement causé par un STEMI antéroseptal !
Après une longue discussion avec la famille, nous avons finalement opté pour un traitement médical à l’étage, sans coro, vu l’âge et les comorbidités.
Voici la perle clinique que je garde avec moi : que ce soit pour les chutes ou les DEG chez la personne âgée, ce bout de papier qu’est l’ECG peut parfois faire toute la différence. À tout le personnel infirmier et aux techniciens en électrophysiologie, pardonnez-moi d’en demander autant !
Bonne semaine,
Dr Frédéric Picotte
Médecin de famille