Deux patients différents, deux ECG… mais même diagnostic. Patients dans la soixantaine avec palpitations, sueurs et dyspnée. Pas de DRS. Début subit des symptômes. Amenés en réa, ils vous parlent, TA limite mais normale… Dx ? CAT ?
Effectivement, au premier regard, on sait tout de suite que ça ne va pas du tout. On note une tachycardie avec des QRS larges … mais ce ne peut pas être de la TV, car le rythme est irrégulièrement irrégulier. Ce n’est pas de la FV, car patient nous parle, avec un pouls et une TA ok… ni de la torsade, car l’axe ne change pas… De plus, on pourrait être tenté de croire qu’il s’agisse d’une FA avec aberration (ie FA avec BBD), mais vous remarquerez que les QRS dans une même dérivation ne sont pas identiques : certains sont plus larges, ils n’ont pas la même morphologie… Lorsqu’on a une FA avec un BBD ou un BBG, la fréquence est irrégulièrement irrégulière, mais la forme du QRS reste la même, pour une même dérivation. Finalement, on voit tout de suite que la fréquence est parfois extrêmement rapide, elle approche 200-250 battements par minute à certains moments sur le tracé (2e ECG)… ce qui très rapide pour une FA usuelle !
Le diagnostic ici est une fibrillation auriculaire avec WPW… il s’agit donc d’un patient qui a un faisceau accessoire (WPW) mais qui vient de tomber en FA! Ainsi, l’oreillette bat à 500-600 bpm, mais le nœud AV ne peut protéger le ventricule comme il le fait dans une FA usuelle, car le faisceau accessoire du patient conduit plusieurs de ces battements aux ventricules… d’où la fréquence cardiaque résultante extrêmement rapide par moments, les QRS larges (n’utilisant pas le système de conduction normal) et la variation dans l’apparence des QRS, puisque certains battements continuent de provenir du nœud AV… donc un mélange entre QRS plus fins et plus larges.
Important ou non ? En fait, peu de signification clinique si le patient est instable et que vous décidiez de cardioverser. Le cardioversion électrique sera efficace, pour toute tachycardie instable, peu importe le diagnostic. Cependant, le vrai danger chez ces patients résulte du fait qu’ils peuvent être relativement stables, avec une pression normale, répondre à vos questions, malgré le rythme rapide, surtout s’ils sont jeunes ou en bonne santé… Le médecin serait alors tenter de vouloir ralentir ce patient par une méthode pharmacologique. Et c’est là que les problèmes commencent… il faut éviter à tout prix les béta-bloqueurs, les BCC non-dihydropyridine (cardizem, isoptin), l’adénosine et la digoxine chez ces patients (bref tout ce qui bloque le nœud AV), car en supprimant le nœud AV, on ouvre l’autoroute au faisceau accessoire : le patient tombera alors en fibrillation ventriculaire! On a aussi des données probantes rapportant des cas de fibrillation ventriculaire (FV) post-amiodarone chez ces patients, car l’amio joue sur plusieurs types de récepteurs, dont un effet sur le nœud AV.
Vous noterez juste en-dessous un ECG post-cardioversion chez le patient 2, qui révèle le PR court et les ondes delta encerclées, confirmant le diagnostic du WPW a posteriori, lorsque le patient est de retour en rythme sinusal.
Bref, la prochaine fois que vous voyez un ECG vraiment LAID, irrégulièrement irrégulier, extrêmement rapide par endroits et où les QRS changent de forme / morphologie dans une même dérivation, cardioverser ou utiliser la procaïnamide si vous voulez vraiment faire une cardioversion chimique. ÉVITER tous les agents avec effet sur le nœud AV. Et pas de souci pour le risque cardioembolique de la cardioversion de ces patients : on ne peut tolérer plusieurs jours à une fréquence aussi élevée et désorganisée ! Donc, pas le temps de former des caillots !
On entend souvent parler du WPW, mais le seul moment où il importe de le diagnostiquer à tout prix rapidement, c’est lorsqu’il se présente ainsi, en FA. Sinon, il se présentera comme une TSVP (conduction orthodromique) ou à l’allure d’une TV (lorsque conduction antidromique), mais le traitement restera efficace si vous appliquez votre ACLS usuel. Vous ferez le diagnostique après le traitement, lorsque le patient sera en sinusal, et que vous verrez le PR court et les ondes deltas. Au risque de me répéter, le danger, c’est d’utiliser l’amiodarone selon le protocole de « tachycardie à complexe élargi », lorsqu’on a à faire à un patient avec WPW en FA.
Afin de mieux voir la différence, je mets juste en dessous un ECG de FA avec aberration (BBD), pour que vous voyiez la différence (ie la constance dans la morphologie des QRS)…
En espérant que vous garderez ces ECG « dans l’œil »…
Dr Frédéric Picotte
Médecin de famille
Merci au Dr. Mattu pour ces ECG qui pourraient sauver une vie!