Saigner sous coumadin avec antidote ou sur Eliquis sans antidote ? Quel patient a le meilleur prognostic ?
Nous savons déjà que les nouveaux anticoagulants oraux comme le Pradaxa, le Xarelto et l’Eliquis causent moins de saignements intracrâniens que le coumadin. On sait aussi que les patients sous Eliquis (apixaban) présentaient 31% moins d’hémorragies majeures par rapport au coumadin (NNT 104 par année de traitement). Cependant, les nouveaux anticoagulants oraux ont souvent mauvaise presse à l’urgence ou dans les salles d’op, puisque ces médicaments n’ont pas actuellement d’antidotes prouvés efficaces pour renverser leur effet. Donc, outre le traitement de support, les culots, les interventions chirurgicales / endoscopiques et la prière wink emoticon, on a peu à offrir et on se sent souvent impuissant lorsque confronté à un patient en hémorragie sous ces molécules. À l’opposé, le bon vieux coumadin, très peu convenant dans la vie de tous les jours, a le mérite d’être renversé efficacement avec plasma frais, vitamine K ou Bériplex. Que faire alors ? Que dire à nos chirurgiens qui redoutent ces traitements ? Que sait-on justement sur les patients qui saignent sous traitement avec ces nouvelles molécules? Les patients en hémorragie sous NACO ont-ils vraiment un moins bon prognostic par rapport aux patients qui saignent sous coumadin ?
Cette étude basée sur les 18 140 patients d’ARISTOTLE (portant sur l’anticoagulation de patients en FA randomisés soit à l’apixaban (Eliquis) ou soit au coumadin) s’est justement attardée aux patients qui ont saigné per traitement. On voulait savoir si l’absence d’antidote allait se traduire par une morbidité / mortalité subséquente pour le patient en hémorragie. Les résultats sont étonnants. Malgré l’absence d’antidote, les patients qui ont saigné sous Eliquis ont nécessité 25-30% moins de culots de globules rouges, d’hospitalisation et d’interventions chirurgicales par rapport aux patients qui ont saigné sous coumadin. Ceci s’est d’ailleurs traduit par une diminution de 50% de la mortalité suite à hémorragie majeure dans le groupe Eliquis par rapport au coumadin, avec un NNT d’environ 200 sur 30 mois. Bref, selon les saignements rapportés dans l’étude ARISTOTLE, les patients qui saignent sous Eliquis ont un meilleur prognostic que les patients qui saignent sous coumadin, malgré l’absence d’antidote !
Cette étude illustre bien qu’il faut se méfier des marqueurs intermédiaires. La correction du RNI des patients sous coumadin ne semble pas se traduire par une amélioration clinique pour le patient. Beau RNI renversé certes, mais plus d’hospit, plus de mortalité chez ceux qui ont saigné sous coumadin que sous Eliquis… voilà de quoi réfléchir.
On verra dans les études prospectives et la « vraie vie » si ces données se réaffirment. En attendant, je garde cette étude pas trop loin, la prochaine fois qu’on me dit que les nouveaux NACO sont « irréversibles et dangereux »… les alternatives ne semblent guère mieux.
Dr Frédéric Picotte
Médecin de famille
HYLEK Elaine M. et al. Major bleeding in patients with atrial fibrillation receiving apixaban or warfarin. J Am Coll Cardiol 2014; 63:2141-7.
doi: 10.1016/j.jacc.2014.02.549