Chaque médecin a sa recette, pour calmer le patient très agité. Haldol, Versed, Zydis s’il accepte de le prendre, ou une combinaison, un B-52… C’est un peu comme la sédation procédurale : tant que ça marche! Y aurait-il toutefois un meilleur traitement basé sur les données probantes ?
Tout d’abord, je dois dire que je crains davantage d’utiliser l’Haldol en possible contexte d’intox, pour son risque potentiel d’allongement du QT, et sur l’abaissement possible du seuil convulsif. Néanmoins, c’est une molécule qui a passé le test du temps. Par ailleurs, la dose utilisée varie souvent… 5 mg ? 10 mg ? Qui dit mieux ?
C’est pour jeter un peu de lumière sur ces questionnements cliniques que Lauren R. Klein et al. ont réalisé une étude dans un département d’urgence de 50 lits de Minneapolis. Cette étude observationnelle de cohorte prospective, avec des patients consécutifs avait comme but d’identifier quelle médication IM (haloperidol 5 mg ou 10 mg, midazolam 5 mg, olanzapine 10 mg ou ziprasidone 20 mg) permettait de mieux calmer le patient à 15 minutes. Les auteurs voulaient faire une étude randomisée-contrôlée sur le sujet, mais le projet fut bloqué à la dernière minute par la FDA, malgré une approbation de leur comité d’éthique locale, pour une question légale portant sur le consentement. Le protocole de l’étude est intéressant. Pour 15 semaines, le médicament à utiliser dans un code blanc était déterminé d’avance sur le département. A chaque 3 semaines, on changeait la molécule utilisée. Le recrutement se faisait au jugement du clinicien, pour des patients de plus de 18 ans, qui n’étaient pas en état d’arrestation. Une fois que le médecin sur place décidait qu’un traitement IM était requis pour contrôler l’agitation d’un patient, l’équipe utilisait le médicament permis par le centre durant la période. Cette façon de donner le même médicament à tous les patients agités pendant un intervalle de trois semaines consécutives visait à réduire les biais de sélection, pour permettre une meilleure comparaison entre les molécules. Les traitements ultérieurs de secours étaient ensuite laissés à la discrétion du clinicien, si requis. La seule exception au protocole était une allergie documentée à la molécule permise ou si le médecin y voyait une contre-indication très spécifique au cas (mais les auteurs précisent que cet argument était fortement découragé auprès de l’équipe traitante). Le recrutement se faisait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par des agents de recherche.
Les auteurs ont utilisé l’échelle validée « Altered Mental Status Scale », qui va de -4 (très sédaté) à 4 (très agité). Une fois la médication donnée, les assistants de recherche collectaient les données démographiques du patient, en plus de mesurer l’échelle d’agitation à 15, 30, 45, 60, 90 et 120 minutes. Le temps pour une sédation adéquate (score en bas de 1 avec l’échelle) était aussi chronométré, ainsi que tous les autres médicaments requis pendant le séjour. Les médecins devaient aussi porter une attention particulière pour documenter tout événement indésirable (arythmie, hypotension, hypoxémie, dystonie, intubation, etc.).
Sur 3443 patients potentiellement éligibles, 737 ont été inclus dans l’analyse finale (2489 patients n’ont pas été inclus puisqu’une médication IM n’était pas jugée nécessaire; 142 exclus car en état d’arrestation et 43 exclus car en bas de 18 ans). Sinon, globalement, il y avait peu de violation au protocole. Au total, 64 patients de plus ont reçu un traitement IM et auraient pu être éligibles, mais n’ont pas été inclus dans l’étude, car non-identifiés prospectivement par les assistants de recherche. On conviendra que ce nombre est tout de même rassurant. L’âge médian de la cohorte était de 40 ans, 72 % des patients étaient de sexe masculin. Une intox à l’alcool était responsable de 88% des cas d’agitation dans cette urgence.
Les résultats sont intéressants : le midazolam (Versed) a démontré la plus grande efficacité pour sédater un patient à 15 minutes, comparativement aux autres traitements antipsychotiques (midazolam 71 %, olanzapine 61%, ziprasidone 52 %, haloperidol 5 mg 40%, haloperidol 10 mg 42%). Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre le Versed et le Zyprexa IM. En ce qui a trait au temps chronométré pour une sédation adéquate, le décompte allait comme suit : midazolam 12 minutes, olanzapine 14 minutes, ziprasidone 17 minutes, haloperidol 5 mg 20 minutes, haloperidol 10 mg 19 minutes. Il n’y avait pas de différences significatives en ce qui a trait aux effets indésirables, mais la puissance n’avait pas été calculée pour mesurer cette issue secondaire. Il n’y avait pas de différence significative dans le temps d’observation à l’urgence entre les différents groupes. En ce qui a trait au besoin d’un traitement de secours supplémentaire, on note la tendance suivante : midazolam 40%, olanzapine 21%, ziprasidone 24 %, haloperidol 5 mg 33%, haloperidol 10 mg 20 %.
Bref, dans une population de patients agités en majorité secondaire à une intoxication à l’éthanol, le midazolam semble le plus efficace pour calmer le patient rapidement à 15 minutes. C’est peu surprenant si on tient compte des pics d’action des différents médicaments et de leur temps de demi-vie. Néanmoins, il est possible que le Versed, vu sa plus courte durée d’action, entraîne un besoin plus grand de traitements de secours, pendant la durée d’observation à l’urgence. Les auteurs mentionnent d’autres études où le midazolam semblait perdre son effet calmant après 60 à 82 minutes. On retient aussi dans cette étude la probable supériorité de l’olanzapine IM versus les autres antipsychotiques. Comme le risque de réactions dystoniques et de torsades est probablement plus faible avec le Zyprexa que l’Haldol, cela en fait une alternative intéressante, si disponible dans votre milieu. Je vous rappelle qu’il a un « black box » concernant l’utilisation du Zyprexa chez la personne âgée avec démence. Finalement, si vous êtes fan de l’Haldol, la dose de 10 mg semblait nécessiter moins de médication de secours que celle de 5 mg pendant le séjour, sans différence dans les effets secondaires mesurés.
Cela reste une étude observationnelle, quoiqu’un grand souci a été porté pour minimiser les biais de sélection, de par la nature du protocole. Reste à décider si on juge que quelques minutes d’agitation de moins en faveur du Versed mérite qu’on révise nos ordonnances… probablement. Cela vient avec un risque possible d’augmenter la médication de secours per séjour toutefois. Comme les données de cette étude ont été obtenues dans une population en grande partie intoxiquée à l’alcool, j’ai pensé que le timing était bon pour vous la partager.
Bonne St-Jean !!! Idéalement sans code blanc !
Frédéric Picotte, MD
Urgence de Shawinigan
Université de Montréal
Éditeur TopMu
Lauren R. Klein et al. Annals of Emergency Medicine. 6 juin 2018. https://www.annemergmed.com/article/S0196-0644(18)30373-1/abstract